Clodomir-Joseph Rouzé
Auteur de manuel scolaires, analyses des fables – L’Hirondelle et les petits Oiseaux
L’Hirondelle et les petits Oiseaux , analysée par Clodomir Rouzé
Le poète Florian, dans la belle fable qu’il a intitulée « La carpe et les carpillons », dépeint avec beaucoup de vérité et de bonheur la sollicitude des mères et l’imprévoyance du jeune âge. La fable de La Fontaine que l’on vient de lire et dont la morale est absolument la même, semble avoir servi de modèle à Florian. Nous ne pouvons lire ces deux apologues sans nous demander lequel a le mieux réussi à nous toucher et à nous plaire. La Fontaine commence par nous tracer de l’hirondelle un portrait qui nous prépare à la voir jouer son rôle de bonne conseillère.
Une hirondelle en ses voyages
Avait beaucoup appris.
En lisant ces premiers vers,nous périssons involontairement à ce début de l’Odyssée, où Homère nous représente Ulysse, l’habile roi d’Ithaque, comme un homme dont l’expérience s’est formée dans le cours de ses voyages et au contact des nations étrangères.
Muse! chante ce héros plein de ruse, qui longtemps erra quand il eut renversé la sainte Ilion. Il visita de nombreuses cités, et connut les mœurs de peuples divers. Il souffrit, sur la vaste mer, des maux cruels en cherchant à conserver sa vie et à ramener ses compagnons; mais il ne put les sauver… tous périrent victimes de leur imprudence…
On voit que l’âge mûr même court parfois à sa perte pour n’avoir point écouté de sages conseils.
La Fontaine nous explique ensuite comment l’hirondelle était devenue si sage, et quels fruits cet oiseau avait retirés de ses pérégrinations continuelles.
Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.
Si le poète a dit « peut » et non « doit », c’est que bien des gens ne tirent aucun profit des leçons les plus instructives, et traversent la vie sans s’améliorer.
Au contraire, l’hirondelle, souvent battue parles tempêtes dans ses voyages,
Prévoyait jusqu’aux moindres orages,
Et,devant qu’ils fussent éclos,
Les annonçait aux matelots…
par ses cris, son vol inquiet et précipité. (Notons en passant que l’on dirait aujourd’hui avant qu’ils fussent éclos.) Cet oiseau, dont l’expérience était si consommée, semblait donc avoir bien le droit de donner des conseils à de petits oisillons «tout jeunes et qui n’avaient encore rien vu. » Florian aurait pu nous parler aussi de l’expérience de sa carpe de Seine. Il ne l’a pas fait ; mais comme il nous dépeint bien la sollicitude et la tendresse inquiète de cette bonne mère dans toutes les péripéties de sa fable! Et comme ce premier vers, qu’il lui met dans la bouche, est bien un cri du cœur !
Prenez garde, mes fils! côtoyez moins le bord !
Le poète ne pouvait pas imaginer un début plus dramatique.
Nous sommes bien plus vivement touchés par l’avertissement maternel de la carpe, que par les réflexions un peu froides que la Fontaine prêtera bientôt à l’hirondelle.
Il arriva qu’au temps que la chanvre se sème,
Elle vit un manant en couvrir maints sillons,
«Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons,
Je vous plains ; car, pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m’éloigner ou vivre en quelque coin.
Quand on compare les recommandations si pressantes de la carpe avec les conseils que l’hirondelle donne aux petits oiseaux, on ne peut s’empêcher de penser que les vers de La Fontaine manquent de chaleur. L’oiseau semble ne ressentir aucune crainte, aucune émotion un peu vive.
Ceci ne me plaît pas,
n’est certes pas un cri d’alarme ; et le mot suivant,
Je vous plains ;
a été mille fois dit par des égoïstes qui croyaient avoir ainsi payé leur dette à l’humanité. Mais ce qui rappelle le «suave mari magno... »d’un poète qui passe pour avoir été assez attaché à sa propre personne ; ce qui semble un peu dur, ce sont les paroles qui suivent :
… car, pour moi,dans ce péril extrême,
Je saurai m’éloigner…
La fin du vers n’est pas plus heureuse, et fait penser au rat qui s’est retiré du monde :
ou vivre en quelque coin.
On pourrait alléguer que l’hirondelle, en parlant ainsi, a voulu prouver aux oisillons combien ses conseils sont désintéressés. Quoi qu’il en soit, rien ne pourra empêcher le lecteur de faire les rapprochement que appuyé ses conseils de celle observation sentencieuse, la conseillère continue :
Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte,
c’est-à-dire, qu’après avoir couvert leurs champs de celle semence, comme il est dit plus haut, les laboureurs auront ramené la terre avec la herse,
… et qu’à leurs blés
Les gens n’étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre,
Quand reginglelies et réseaux
Attraperont petits oiseaux,
Ne volez plus de place en place;
Demeurez au logis ou changez de climat.
Imitez le canard, la grue ou la bécasse.
Le conseil de changer de climat était plus facile à donner qu’à suivre.
L’hirondelle s’en aperçoit et ajoute :
Mais vous n’êtes pas on état
De passer, comme nous, les déserts et les ondes,
Ni d’aller chercher d’autres mondes :
C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr.
A quoi bon alors énumérer tous les autres avec cette complaisance ? N’était-il pas plus simple de dire tout de suite :
C’est de vous renfermer aux trous de quelque mur.
Le poète, en mettant dans la bouche de l’hirondelle des conseils qu’elle-même est forcée de reconnaître impraticables, semble malheureusement excuser l’impatience des petits oiseaux. Les avertissements de la carpe sont plus sobres, plus pressants, et témoignent d’une anxiété bien plus vive, sinon plus profitable.
Les oisillons, las de l’entendre,
Se mirent à jaser aussi confusément
Que faisaient les Troyens quand le pauvre Cassandro
Ouvrait la bouche seulement.
Mais les oisillons, comme les Troyens, furent victimes de leur étourderie.
Il en prit,
c’est-à-dire, il en arriva
… aux uns comme aux autres ;
Maint oisillon se vit esclave retenu,
comme tant de Troyens et de Troyennes qui passèrent le reste de leur vie dans la servitude. Encore les oisillons sont-ils trop heureux que le poète les sauve de ce fatal chaudron dont il les avait menaces d’abord !
Et la Fontaine termine son apologue par cette morale :
Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les notres,
Et, pareils aux oisillons qui n’avaient pas voulu se montrer dociles aux conseils d’un oiseau plus expérimente, nous
… ne croyons le mal
c’est-à-dire, nous ne croyons au danger qui nous menace, au malheur qui nous attend
… que quand il est venu.
La morale de Florian est plus familière et fait plus d’impression sur l’esprit des enfants.
Pourquoi quittaient-ils la rivière ?…
C’est qu’on se croit toujours plus sage que sa mère.
En résumé, si la fable de la Fontaine passe avec raison pour un de ses chefs-d’œuvre, Florian, en marchant sur les traces de son devancier, nous semble s’être placé bien près de son modèle, et plus d’un lecteur pensera peut-être que la carpe a des accents plus émus et plus touchants que l’hirondelle. (L’Hirondelle et les petits Oiseaux par C. Rouzé)
- Rouzé, Clodomir. Analyses littéraires de fables de La Fontaine et de morceaux choisis, par C. Rouzé, 1886.
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