Quelle espèce est l’humaine engeance !
Pauvres mortels où sont donc vos beaux jours ?
Gens de désir et d’espérance,
Vous soûpirez long-temps après la jouïssance ;
Jouïssez-vous ? Vous vous plaignez toûjours.
Mille et mille projets roulent dans vos cervelles.
Quand ferai-je ceci ? Quand aurai-je cela ?
Jupiter vous dit, le voilà,
Demain dites-m’en des nouvelles,
Jouïssez ; je vous attends-là.
Ne vous y trompez pas ; toute chose à deux faces ;
Moitié défauts et moitié grâces.
Que cet objet est beau ! Vous en êtes tenté.
Qu’il sera laid, s’il devient vôtre !
Ce qu’on souhaite est vû du bon côté ;
Ce qu’on possède est vû de l’autre.
D’une sirène un homme étoit amoureux fou.
Il venoit sans cesse au rivage
Offrir à sa Venus le plus ardent hommage ;
Se tenoit là, soupiroit tout son soû.
La nuit l’en arrachoit à peine,
Les soucis avoient pris la place du sommeil ;
Et la nuit se passoit à presser le soleil
De revenir lui montrer sa sirène.
Quels yeux ! Quels traits ! Et quel corps fait au tour !
S’écrioit-il : quelle voix ravissante !
Le ciel n’enferme pas de beauté si touchante.
Il languit, sèche, meurt d’amour.
Neptune en eut pitié. ça, lui dit-il un jour,
La sirène est à toi ; je l’accorde à ta flamme.
L’hymen se fait ; il est au comble de ses vœux ;
Mais dès le lendemain le pauvre malheureux
Trouve un monstre au lieu d’une femme.
Pauvre homme ! Autant l’avoient travaillé ses transports,
Autant le dégoût le travaille.
Le desirant ne vit que la tête et le corps ;
Le jouïssant ne vit que la queuë et l’écaille.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, L’Homme et la Sirène.