Un homme avait perdu tout son bien par le feu ;
Chacun, la première journée,
Plaignit beaucoup sa destinée :
Le lendemain on en parla très-peu,
Car un malheur d’un jour n’est plus une nouvelle,
Et c’est à regret qu’on rappelle
Le souvenir d’un malheureux.
Sou chien, l’unique ami qui, constamment fidèle,
L’aurait accompagné dans ces temps désastreux,
Son chien avait péri dans la flamme cruelle.
L’homme plaignait sa perte, et tristement assis,
Tandis que le présent l’accablait de soucis ,
La peur de l’avenir le remplissait d’alarmes ;
Lorsqu’un vénérable matou,
Qui du haut d’un grenier regardait par un trou,
Le vit manger un pain arrosé de ses larmes :
Mon ancien maître a l’air d’un homme sans appui ;
Il faut, dit-il, céder au désir qui me presse,
Et l’accoster un peu dans ce pressant ennui.
Il accourt aussitôt, se rend auprès de lui,
Fait patte de velours, va, vient, tourne sans cesse,
Semble d’un air si doux partager sa tristesse,
Que le malheureux tout surpris
De recevoir une caresse
Crut devoir y mettre du prix.
Voilà donc tout d’un coup que le chat l’intéresse ;
Viens, approche, dit-il, en lui tendant la main :
Je n’ai plus qu’un morceau de pain,
Avec toi, de bon cœur, ami, je le partage ;
J’aurais voulu pouvoir te donner d’avantage,
Mais tu le vois, hélas ! il ne me reste rien.
Oui, répond le matou, je m’en aperçois bien ;
De même j’avais vu, du coin de la prunelle,
Que cette mince bagatelle
Était encore en ton pouvoir ;
Je souhaitais fort de l’avoir :
J’ai donc fait prudemment d’accourir au plus vite ;
Car un instant plus tard j’aurais perdu mes pas.
En achevant ces mots, le traître parasite
Prend le pain, s’enfuit au plus vite,
Et remonte au grenier pour faire son repas.
“L’Homme et le Chat”