Il se tenait assis sur le bord du chemin,
Et, le pied nu dans la poussière,
Irrité, contemplait une petite pierre,
Qu’il avait prise dans la main.
« Misérable caillou perdu dans ma chaussure.
Oser ainsi s’en prendre à moi,
Et me faire au talon cette noire blessure,
Que je ne puis regarder sans effroi.
Infime objet, apprends à me connaître!
J’étais le messager des paroles du maître…
Là-bas, le grand Vizir m’attend,
Et le peuple anxieux, éperdu, palpitant,
Depuis quatre grands jours soupire.
Je portais avec moi le salut d’un empire!
Et me voici dans ma course arrêté,
Par ce lâche caillou sous mon talon planté.
Un caillou; c’est ce qui m’enrage!
Encor si, pour tenter la force de mon cœur,
Quelque obstacle se fût offert à mon courage,
Digne de trouver un vainqueur.
Abîme affreux, roche escarpée,
Aigle, vautour, serpent, lion,
Barbares affrontant le choc de mon épée…
Hélas! c’est le rebut de la création,
C’est un fragment sans nom, un néant ridicule,
Atome s’attaquant à la force d’Hercule! »
Comme on le pense bien, le caillou resta coi.
Que de choses pourtant il aurait pu répondre!
Mais son silence dut confondre
L’homme, ce fantôme de roi.
Fantôme vaniteux, qui, dans sa courte vie,
Croit avoir possédé la nature asservie.
Prétendre à tout, forcer les ondes et le vent
A guider son esquif sur le désert mouvant.
Aux cieux, aux vastes cieux arracher quelques voiles!
Approfondir le cours des lointaines étoiles!
De la machine humaine entr’ouvrir le ressort,
Et fouiller les secrets mystères de la mort!
Des pics neigeux franchir les cimes,
Arracher la foudre aux éclairs,
Et chercher au sein des abîmes
Ce que cache l’azur des mers!
Pauvre roi, n’es-tu pas plus fugitif qu’une ombre?
Ta vie est comme un flot qui palpite un instant,
Courant avec fureur contre le rocher sombre
Qui dans la nuit se dresse, immobile, et l’attend.
L’homme, ainsi que le flot, disparaît dans un rêve.
La pierre peut braver ses efforts superflus,
A peine a-t-il paru que son destin s’achève ;
Il accourt, il bondit, il s’efface, il n’est plus.
“L’Homme et le Caillou”