L’impunité, de tous les temps,
Fut un attrait pour les méchants;
C’est le sujet d’un apologue
Que Phèdre a mis en fort beaux vers:
Dans un siècle fécond en illustres pervers ,
C’est l’instant, ou jamais, de le remettre en vogue.
Bien que le chemin fût frayé,
Aucun auteur français ne l’avait essayé.
Ni Florian ni La fontaine ,
Ni Lamotte , ni moi, rimeur à la douzaine.
De me nommer ici je puis être effrayé :
Il n’importe ; voici, si j’ai bonne mémoire,
Comme Phèdre conte l’histoire.
Mordu par un chien furieux ,
Un homme, au lieu de venger cette injure,
S’avisa d’un moyen plaisant et curieux,
Qu’il croyait infaillible à guérir sa blessure;
Jetant à l’animal, qui déchira son flanc,
Quelques morceaux de pain qu’il trempait dans son sang.
Le bourgeois tenait cette cure
D’un diseur de bonne aventure ,
Qui passait à ses yeux pour un homme profond.
« Votre procédé me confond,
» Lui dit avec douceur un sage :
» Mon ami, ne craignez-vous pas,
» Si vous récompensez de pareils attentats,
» D’exciter contre vous la rage
» De ces animaux malfaisants
» Qui vont nous dévorer vivants ,
» Quand à leur fureur sanguinaire »
» Ils verront que l’on garde un aussi doux salaire?
» Croyez-moi, renoncez à de pareils moyens ;
» Mais surtout devant d’autres chiens,
» Si vous avez quelque prudence,
» N’en faites pas l’expérience. »
L’avis à suivre était fort bon ,
Et j’y trouve, en passant, à faire une remarque ;
C’est qu’il est des forfaits indignes de pardon,
Où la justice du monarque,
A la sévérité des lois
Doit faire céder la clémence,
Venger la majesté des rois
Et la divine Providence.
Si du prince pourtant l’excessive douceur
Défend que le méchant périsse ,
Qu’il reconnaisse au moins qu’il est un ciel vengeur;
Que la honte soit son supplice ;
Que des gens de bien détesté,
Il traîne au loin sa vie errante et misérable.
On encourage le coupable
Eu consacrant l’impunité.
C’est un fort dangereux exemple
Pour le méchant qui le contemple.
Les plus noirs attentats n’ont plus rien à ses yeux,
Rien de pénible, rien d’affreux ;
Et le moindre succès à tel point l’encourage ,
Qu’on peut tout redouter de son aveugle rage.
“L’Homme mordu par un Chien”
Autres versions
L’Homme mordu par un Chien
– Un homme mordu par un chien courait de tous côtés, cherchant quelqu’un pour le guérir. Un quidam lui dit qu’il n’avait qu’à essuyer le sang de sa blessure avec du pain et à le jeter au chien qui l’avait mordu. A quoi le blessé répondit : « Mais, si je fais cela, je serai fatalement mordu par tous les chiens de la ville. »
Pareillement, si vous flattez la méchanceté des hommes, vous les excitez à faire plus de mal encore.
Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Homo et Canis
Laceratus quidam morsu vehementis canis,
tinctum cruore panem misit malefico,
audierat esse quod remedium vulneris.
Tunc sic Aesopus: ‘Noli coram pluribus
hoc facere canibus, ne nos viuos devorent,
cum scierint esse tale culpae praemium’.
Successus improborum plures allicit.
Phèdre – (14 av. J.-C. – vers 50 ap. J.-C.)
L’Homme et le Chien
Un Homme qui avait été mordu par un Chien furieux, jeta au méchant animal un morceau de pain rougi dans son sang, parce qu’il avait entendu dire que c’était le remède pour ce genre de blessure. » N’allez pas faire cela devant d’autres chiens, lui dit alors Esope; car ils nous dévoreraient tout vivants, s’ils savaient qu’on récompense ainsi leurs fautes. »
Le succès des méchants encourage bien des gens.
Fable de Phèdre traduite par Ernest Panckoucke (1808 – 1886) édition 1839
L’Homme mordu par un Chien
Un jour un gros Bourgeois, mordu par un Mâtin,
Demandoit un secret contre cette blessure.
Dans votre sang , dit-on , trempez du pain
Dont vous régalerez l’auteur de la morsure.
Vous vous moquez, dit l’Homme on badinant.
Trop grande seroit l’imprudence ,
Si je traitois ainsi l’animal qui m’offense :
Après lui mille Chiens voudroient en faire autant :
Ils me mangeroient tout vivant.
L’impunité, la récompense,
Rendent encore plus méchant.
Pierre de Frasnay – (1676 – 1753)