Les grands sont friands d’horoscope ;
Ils pensent que leur sort est écrit dans les cieux,
Et que rien de nouveau ne s’offre au télescope,
Qu’ils ne s’en trouvent pis ou mieux.
Soleil, étoiles et planètes,
Tout parle d’eux. Petits, n’allons pas nous troubler
Du noir présage des comètes ;
Les princes ont l’orguëil d’en vouloir seuls trembler.
Un lion souverain d’Afrique
Voulut un jour sçavoir son avenir.
Sa cour ne lui pouvoit fournir
Aucun maître en cette rubrique.
De certain astrologue un singe domestique
Promet la chose, et part pour la tenir.
À tout hazard il vole un papier à son maître ;
C’est un horoscope ; il suffit.
Il l’apporte au lion ; on le prend, on le lit.
Que croyez-vous que le lion doive être ?
Esclave, et puis comédien.
L’auriez-vous deviné ? Quoi, traître, oses-tu bien
M’anoncer ce destin, dit le prince au prophéte ?
Tu n’es qu’un ignorant. Sire, je le souhaite,
Dit le singe tremblant. Mais toi,
Sçais-tu ton sort, reprit le roi ?
Voyons ; dirois-tu bien ce qu’il te reste à vivre ?
La griffe étoit ouverte, et le singe à genoux.
Sire, dit-il, j’ai lû dans le céleste livre
Que je devois mourir au même instant que vous.
Ce tour adroit répara l’imprudence.
Le lion superstitieux
Ferma la griffe et retint sa vengeance.
L’amour propre fit encor mieux ;
Il baptisa sa crainte de clémence.
Nos actions parfois ont un air de vertus :
Qu’on les creuse ; c’est un vice ou foiblesse, et rien plus.
Que deviendra la prophétie ?
Écoutez. Le lion arrêté dans des rets
Est pris, enchainé, puis après
Apprivoisé. Son maître en veut gagner sa vie.
Ils partent. Avec eux notre singe devin
Part aussi bien instruit des tours de fagotin.
Par les foires on les promène ;
Par tout nos deux acteurs établissent leur scène,
L’un sérieux, l’autre badin ;
C’est Lelio, c’est Arlequin :
Un seul de ces deux en vaut quatre.
Le monde court en foule à ce nouveau théâtre ;
Chacun les voulut voir. Or le jeu du lion
Étoit de ne le plus paroître,
D’être doux, complaisant et docile à son maître ;
Il jouoit la soumission.
De sa queuë il lui faisoit fête ;
De sa patte le caressoit ;
Souffroit que dans sa gueule il enfonçât la tête ;
Le spectateur en frémissoit.
Le singe d’autre part fait sur son camarade
Cent jolis tours, mainte gambade ;
Monte à cheval sur lui, le mene à son désir :
Le spectacle à la fois faisoit peur et plaisir.
Dom Bertrand applaudi, pour l’être davantage,
S’avise un jour d’un tour de son métier :
Et pour imiter l’homme, osant trop se fier
À la docilité de l’animal sauvage,
Va dans la gueule du lion
Fourer sa tête. Une telle action
Surprend le lion et l’irrite :
Il redevient féroce, et sans attention
À sa mort autrefois prédite,
Il étrangla Bertrand pour l’indiscrétion.
Mais punissant la faute, il en fit une extrême ;
Du colier de Bertrand il s’étrangla lui-même.
C’est ainsi qu’on vit s’achever
Le destin du lion, prononcé pour un homme ;
Jusqu’au tour dont le singe usa pour se sauver,
Tout s’accomplit, tout se consomme,
Qu’après cela l’on prenne le parti
D’un art aveugle et qui n’a point de guide :
Maître hazard s’est par fois diverti
À le justifier ! Mais quoiqu’il en décide,
L’astrologue a toujours menti.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, L’Horoscope du Lion.