Louis Tremblay
Poète et fabuliste XIXº – L’Horticulteur et la Graine
On entend dire de nos jours,
Redire et répéter toujours
Que la foi vivante et divine,
Dans les cœurs qu’elle a désertés
N’a plus une seule racine,
Ou que ses germes sont gâtés!…
— Mais les choses du ciel et celles de la terre
Ont leur analogie au ravissant mystère:
Ainsi, tout ce qu’on peut sentir, toucher et voir
Du monde palpable et sensible.
Peut reproduire, ainsi qu’en un miroir,
Les choses du monde invisible ;
Et, pour en bien saisir les rapports, les secrets
Et les mille attributs qui les caractérisent,
Pour en tirer surtout des enseignements vrais.
Et des leçons qui nous instruisent,
Il ne faudrait que les voir de plus près,
Et puis réfléchir ce qu’ils disent…
Or, voici qu’un horticulteur
— Qui pratiquait un peu son art en amateur —
Avait chargé son jeune élève
Oc semer une graine à la féconde sève,
Dont la fleur, la feuille et le fruit,
Dont la riche et belle nature
Livrée aux soins d’une habile culture,
Devaient être d’un grand produit.
L élève eut bientôt fait ce qu’avait dit le maître.
Mais, un beau matin, celui-ci,
Deux mois, trois mois après, peut-être,
Inquiet et tout en souci
De ne voir surgir de sa plante
Rien qui pouvait promettre une feuille, une fleur,
Sur cette lenteur apparente
Interrogea notre apprenti semeur,
— Qui répondit que cette graine
Avait évidemment perdu
Toute sève et toute vertu,
Puisque ses soins, ses efforts et sa peine,
Tout avait été vain!..
L’horticulteur alors, en proie à quelque doute,
A quelque faute qu’il redoute,
Demande à voir la place, le terrain
Où sa chère graine est semée…
Mais qu’y vit-il, hélas! un sombre mur,
Et l’ombre d’un vieil arbre humide, froid, obscur,
Tombant sur une terre aride, inanimée,
Où pas un seul des regards doux
De cet astre, œil béni de la nature entière,
N’y pouvait envoyer ni chaleur ni lumière ;
—C’était un vrai repaire à réjouir des loups. —
« De mon malheur, parbleu ! la cause est claire,
S’écria t-il tout en colère.
Vite, ôtez-moi de ce coin triste et frais
Ma graine précieuse et rare,
Et mettez-la dans ce sol que prépare
Et l’air et le soleil et l’espace et l’engrais. »
On la transplanta donc. Et peu de temps après.
Au grand étonnement de cet élève ignare,
Et germe et tige ôtaient en plein progrès.
— Or la foi c’est la graine, et le cœur c’est la terre.
Que la foi dans un cœur sans chaleur ni lumière
Tombe, et bientôt elle dépérira.
Mais préparez cette âme, ôtez ce qui l’altère,
Mauvaises passions, vices, et cœtera,
La foi bientôt y germera.
Louis Tremblay, L’Horticulteur et la Graine
La bonne terre où le bon grain est jeté marque ceux qui, ayant écouté la parole avec un cœur bon et excellent, la conservent et portent des fruits.
(Saint Luc, VIII, 15.)