Le palais d’un lion de nuit avait pris feu ;
La toiture tombait en lame étincelante.
Les animaux en foule accourus sur le lieu
Parvinrent à dompter la flamme dévorante.
Un pareil dévouement devait avoir son prix ;
Aussi, lorsque le jour eut calmé les esprits,
Le monarque annonça l’heure des récompenses.
C’est un moment sublime, il faut en convenir ;
Mais, sans fléchir jamais, conserver les balances
Fut, en tout temps, un point difficile à tenir.
Chacun alors si fort se démène, s’agite
Pour vanter ses exploits,
Qu’il vaudrait mieux, parfois
Jeter en l’air les croix
Que de chercher celui qui, de fait, les mérite.
Le lion, jeune encor, pensa différemment.
Comme un vrai Salomon, il s’assit sur son trône,
Et dit qu’il était là pour payer dignement
Les services divers rendus à la couronne.
Un chien, le nez en l’air, s’avance vers le roi :
— Ce que d’autres ont fait, grand sire, je l’ignore ;
Mais au premier coup du beffroi.
Qui rassura le peuple, et fut son chef ? c’est moi.
Tenez, mon poil en sue encore ;
Et j’ai tant péroré dans le palais sonore,
Que mon gosier à sec témoigne de ma foi.
Comme il se pavanait en parlant de la sorte :
— C’est par trop te vanter, répond d’une voix forte
Un ours au lourd museau : parler n’est pas agir.
Pour moi, je le dis sans rougir.
Lorsque sur la muraille on eut posé l’échelle,
J’en pris le pied, et là, ferme comme un rocher,
D’un grognement flatteur je redoublais le zèle
De ceux que le péril parfois faisait broncher.
Mais ici comment vous décrire
Ce que chaque bête vint dire
Pour obtenir les faveurs du lion ?
Jadis sans doute Agamemnon
Eut moins à faire pour entendre
Ceux dont le bras avait réduit en cendre
La trop malheureuse Illion.
Au milieu de ce bruit, gardant un calme rare,
Le prince avait tout écouté :
C’était un acte de bonté,
Dont le moindre commis parmi nous est avare.
Enfin il fit un geste ; un silence profond
Soudain s’établit dans l’enceinte.
— Je suis content, dit-il, sans doute plus d’un nom
Ira sur la colonne sainte
Briller dans notre Panthéon.
Il en est un pourtant qu’on ignore peut-être :
C’est celui du premier qui, vers l’eau descendu,
Puisa, sans se faire connaître,
Le liquide abondant sur le feu répandu :
Quel est-il ? répondez. A cet ordre du maître
Le peuple se regarde, et se tait confondu.
Un murmure lointain se répand et s’élève :
On se dit que le bœuf était près du torrent ;
Jusqu’au palais du roi ce bruit monte en courant.
Le monarque l’écoute et dit d’une voix brève :
— Qu’on m’amène le bœuf ; pour lui ce jour est grand.
Or, que faisait au champ notre animal tranquille ?
Nouveau Cincinnatus, dans la plaine stérile
Il reprenait gaîment son pénible sillon ;
Son devoir accompli, sans songer au renom,
Il avait sous le joug remis son cou docile.
Et ne s’occupait plus du palais du lion.
Mais, lorsque l’on publie
L’ordre du roi, soudain
Il vient et s’humilie
Devant le souverain,
« Relève-toi, lui dit d’une voix solennelle
Le monarque attendri ; si ta conduite est belle,
La modestie encore en augmente le prix,
Il est beau d’être utile au trône, à son pays ;
Mais le servir dans le silence,
Sans songer à la récompense,
C’est là de la vertu : c’est moi qui te le dis. »
A ces mots, un bravo partit de l’assemblée :
La justice un instant peut demeurer voilée ;
Mais, quand elle revoit le jour,
Le peuple, simple et bon, saluant l’exilée,
Partout l’accueille avec amour.
Je ne veux point ici, censeur atrabilaire,
Aux rois enseigner leur devoir ;
Assez d’autres sans moi, sans crainte de déplaire,
Sauront gourmander le pouvoir :
Mais dans ce siècle où tout homme désire
Le soleil éclatant de la publicité,
Il est rare de voir dans un poste écarté
Le sujet s’immoler au salut de l’empire,
Sans escompter l’honneur de la célébrité.
« L’incendie et la récompense »
Auguste de Juge de Pieuillet, 1797 – 1863