Dès les temps reculés où, sortis de leur arche,
Les trois enfants du patriarche
Repeuplaient notre globe et se le partageaient,
La poule et l’œuf se disputaient
A qui devait, par droit d’aînesse.
Être le chef de leur espèce.
« C’est dans moi, disait l’œuf, que s’est formé ton corps,
Et tu n’as vu le jour qu’en brisant ma coquille. »
La poule répondait : « C’est de moi que tu sors,
Je ne peux voir en toi le chef de ma famille. »
Après que chacun d’eux, en style d’avocat,
Eut ressassé dix fois ces arguments contraires,
Ils allèrent tous deux, à bout de corollaires,
Au bon sens d’un hibou, soumettre leur débat,
Comme à l’oiseau de la déesse,
Qui représentait la sagesse.
Dans le creux d’un rocher ils en trouvèrent deux,
Et n’en furent pas plus heureux.
L’un décida pour l’œuf et l’autre pour la poule.
Le procès fit du bruit, il attira la foule ;
Et la vanité s’en mêlant.
On discuta plus longuement.
Depuis que notre globe roule,
Tous les parleurs en font autant.
Tous les hiboux enfin du procès se saisirent,
De père en fils se le transmirent.
Tantôt les poules triomphaient,
Tantôt les œufs les déboutaient.
Et voilà, cher lecteur, à quel point nous en sommes.
Le procès, en effet, est venu jusqu’à nous,
Et je doute fort que les hommes
En sachent plus que les hiboux.
Ils se sont proposé vingt questions pareilles ;
Et depuis trois mille ans ils n’ont rien éclairci.
Leurs écrits toutefois passent pour des merveilles,
Ceux même, qui jadis y consacraient leurs veilles,
Furent nommés divins; et ceux de ce temps-ci
Ne seraient pas fâchés d’être nommés ainsi.
Mais, avant qu’en beau marbre on taille leurs ligures,
Je voudrais bien qu’ils se missent d’accord,
Qu’Hegel et ses rivaux eussent raison ou tort,
En périodes moins obscures ;
Que leur science enfin nous dit son dernier mot ;
Que mon siècle, à bon droit glorieux de son lot,
Ne léguât point ce doute à nos races futures.
Mais nous n’en unirons, et j’en ai du regret,
Que s’il plaît à celui qui commande aux tempêtes,
Qui fixa le soleil au milieu des planètes,
De nous révéler son secret.
“L’œuf et la Poule”