Prieur de Thermes et de la Faye Audin
L’Oiseau de Paradis et l’Autruche –
Une Autruche s’étant repue d’os & de vieilles ferrailles, selon sa coûtume, commença de se promener le long d’une campagne ; comme elle ne savoit à quoi s’occuper, aiant toujours la tête levée, elle découvrit un Oiseau, dont le corps & le plumage lui sembloit fort extraordinaire : Après avoir passé quelque tems à considérer son vol , sans qu’il se perchât sur aucun arbre, 1 elle entra dans cette fausse créance, qu’il en usoit ainsi par vanité, pour faire croire qu’il ne manquoit, ni de force ni d’haleine. Il faudra, quand tu seras bien las, disoit-elle en elle même, que tu t’arrêtes : Mais comme elle eut encore emploié beaucoup de temps à le voir roder sans découvrir son dessein, enfin portée d’impatience elle le convia de s’approcher, & de prendre terre. 2
L’Oiseau lui aiant répondu, que ce n’étoit pas son Element, & que la Nature lui avoit donné l’Air pour sa demeure : Vous y serez si peu qu’il vous plaira, répliqua l’Autruche, du moins donnez-moi cette satisfaction, que nous puissions durant quelques momens nous entretenir ensemble, je ne suis pas si méprisable qu’il ne vous soit aisé de juger 3 de mon mérite, par la grandeur & la diversité de mes plumes. Quelques belles qu’elles soient, repartit l’Oiseau, je connois assez qu’elles n’ont pas la force d’enlever un corps aussi pesant & aussi massif que le vôtre: tenez-vous comme vous êtes, il me suffit de vous dire, que nous ne saurions avoir de commerce, ni de communication ensemble. Je suis l’Oiseau de Paradis 4 qui n’ai point de pieds pour marcher sur la terre : Vos aîles d’ailleurs sont trop foibles ; quoi qu’extrêmement grosses, pour vous souslever en l’air ; & de plus vôtre nourriture, est entièrement terrestre, & moi je ne me repais que de rosée.
1. Un méchant homme explique les meilleures actions en mauvaise part.
2. Deux personnes de différente humeur fuient les occasions de se rencontrer ensemble.
3. Les grands fondent ordinairement leur mérite sur leur puissance.
4. Un homme pieux a autant de peine de porter ses yeux sur la terre, qu’un homme terrestre d’élever son entendement au Ciel.
“L’Oiseau de Paradis et l’Autruche”
- Prieur de Thermes et de la Faye Audin, 16.. ?