Ces jours passés, dans un antiphonaire,
D’un manuscrit j’ai trouvé les lambeaux ;
Un saint abbé, chroniqueur débonnaire,
L’avait tracé sur vélin des plus beaux.
J’y découvris mainte histoire touchante :
Les noirs méfaits de la race méchante,
Des paladins les exploits belliqueux,
Quelques récits d’amoureuse folie,
Des contes gais rimés en Italie,
Et les bons mots d’un sage Maître-Queux.
Or, au milieu du curieux grimoire,
Mes yeux ont lu le fait très-singulier
D’un Oiseau vert de piteuse mémoire,
De chaste dame et de franc chevalier.
Je vais la dire, et sans nul trait de plume,
Telle qu’elle est dans le docte volume,
De point en point je prétends la conter,
Me gardant bien sur pareille matière,
Au riche prix d’une province entière,
De rien rabattre ou même d’inventer.
En mil-deux-cent-un ou trois, la chronique
Parfois, on sait, met la date à l’écart ;
Heureux vainqueur de cette gent inique
Qui de Mahomet a suivi l’étendard,
Un chevalier de fort belle apparence,
Dans un castel voisin de la Durance,
Civilement fut admis un beau soir.
Sans peine on vit qu’il était gentilhomme,
A son grand air, comme à la ronde somme
Qu’il fit compter aux valets du manoir.
Ce chevalier, venant de Palestine,
En rapportait un oisel estimé,
Au vert plumage, à la piquante mine,
Par son caquet bien digne d’être aimé ;
Il récitait d’une voix nasillarde
Psaume pieux, comme chanson gaillarde ;
C’était enfin un aïeul de Vert-Vert.
On tient ceci d’un généalogiste
Point trop faussaire, et grand apologiste
De tel grand nom qu’il aurait découvert.
L’oisel fit seul les frais de la veillée ;
Pendant une heure il ne déparla point
De son babil la dame émerveillée
En le baisant le loua de tout point.
Un peu plus tard à sa servante Alice
Elle disait : « Il ferait mon délice
«Ce franc oisel au plumage éclatant ;
«Je veux l’avoir ; va donc trouver son maître
«A quelque prix qu’il prétende le mettre,
«Accepte tout et solde-le comptant.»
Or, vous saurez que cette châtelaine
Avait peau douce et brillant embonpoint,
Gorge de lis et balsamique baleine,
Vingt ans d’abord et six faisant l’appoint.
Vive elle était, mais mignarde et modeste,
Sans néanmoins frémir d’un propos leste
Tel qu’on en tient dans le plus haut castel ;
A son époux tendrement enchaînée,
Connaissant bien les lois de l’hymenée
Et repoussant tout amoureux cartel.
Saurez encor qu’Alix la chambrière
Avait des yeux grands, noirs et bien fendus ;
Certains disaient qu’à la gente ouvrière
Vœux adressés n’étaient jamais perdus.
Point ne le crois, médisance est vilaine.
Elle vint donc, et de la châtelaine
Au chevalier elle apprit le désir ;
Elle portait une somme complète ;
Du Caquetant il fallait faire emplette,
Et rien n’est cher de ce qui fait plaisir.
Or, c’est en vain que l’adroite suivante
A péroré pour obtenir l’oisel ;
Soins sont perdus ; sans fruit elle est savante
Elle ne peut toucher le jouvencel.
«Je l’ai, dit-il, élevé dès l’enfance ;
«Il fait ma joie, et je fais sa défense ;
«Je ne saurais m’en séparer ainsi.
«Quand je suis seul, j’aime son badinage ;
«Il me distrait dans le cours du voyage,
«Et je mourrais s’il demeurait ici. »
Alice alors va conter à la dame
Du paladin le refus peu galant.
Au feu c’était ajouter vive flamme :
Désir trompé devient plus violent.
Le lendemain, l’oisel eut tant de charmes
Que d’une veuve il eût séché les larmes.
Pour mieux l’ouir, en cercle on se rangeait.
«Il me le faut, disait madame Elmance,
«En voudrait-il le prix le plus immense,
«Ou de mon deuil ce sera le sujet. »
Voyez partir d’une course légère
La vive Alix, qui près du paladin
Revient encore en prompte messagère,
Quoique son front montre quelque dédain.
«Vous recevrez, Monseigneur, lui dit-elle,
«Quatre manteaux où l’or brille en dentelle,
«Deux destriers propres aux longs combats,
«Un gros volume enrichi de peintures,
«Où d’Olivier on lit les aventures,
«Ses grands travaux et ses tendres ébats.
« —Que m’offrez-vous ! répond le preux de France ;
«Ce bon ami, je ne le vendrai point ;
«M’en séparer serait vive souffrance ;
«Je puis pourtant vous eéder sur ce point.
«Si dès minuit et jusques à l’aurore,
«Par vos conseils, Madame, que j’honore,
«Veut m’accorder un secret entretien,
«Du noble oisel je lui ferai l’hommage,
«Car dans mon cœur j’emporterai l’image
«Qui me tiendra lieu de tout autre bien.»
A ce propos, Alix d’abord se signe ;
Puis s’adressant au hardi damoisel :
«C’est là, dit-elle, audace trop insigne,
«Et, de par Dieu ! vous garderez l’oisel.
«Vouloir tel prix, n’est-ce pas conscience !
« — Mais Caquetant est fort en la science,
«Répond le preux ; où trouver son pareil ?
«On peut pour lui faire quelque folie ;
«Convenez-en, chambrière jolie,
«Unique il est, ainsi que le soleil.»
Ne sais pas bien ce que put encor dire
Le chevalier à la charmante Alix ;
Tant il en fut qu’il sut trop la séduire
Et l’enjôler en termes si polis,
Qu’au beau sortir de la chambre discrète
Quelques faux plis gâtaient sa collerette
Et sur son teint brillait vive couleur.
Puis elle alla près de madame Elmance
Vanter l’oisel avec telle démence,
Que c’était rage ou maligne chaleur.
Tant elle en dit, qu’enfin la châtelaine
Dont le désir égarait les esprits,
Et du bon Dieu ne se mettait en peine,
Voulut l’oisel, vous savez à quel prix.
Minuit sonnait au prochain monastère,
Quand, sous l’appui d’Alice et du mystère,
Le chevalier en silence introduit,
Portant au poing le plaisant personnage,
Vint près d’Elmance en jurant d’être sage,
Et jusqu’au jour en prit à son déduit.
Le lendemain, dès qu’on eut dit la messe,
L’heureux croisé partit de ce castel ;
De s’éloigner il avait fait promesse :
Mais en partant il fit don de l’oisel.
Et tout chacun aussitôt se récrie
Sur sa noblesse et sa galanterie ;
Ce devait être un preux de grand renom.
Du vieux manoir le maître débonnaire
Allait disant : « C’est un loyal confrère ;
«Ai vif regret de ne savoir son nom.»
Puis, au milieu de l’assemblée illustre
Dont Caquetant par Alice amené
Va mériter sans doute un nouveau lustre.
De telle foule il n’est point étonné :
On voyait là dames de haut parage,
Plus d’un baron fameux par son courage,
Trois damps abbés, un gros et frais prieur,
Homme de bien, fêté, couru des femmes ;
Car vers le ciel il conduisait les âmes
Par un chemin qu’il disait le meilleur.
L’oisel est là ; chacun mît son éloge ;
Son vert plumage enchante tous les yeux.
Bientôt après son maître l’interroge ;
Mais que répond l’oisel malicieux ?
«Quoi ! chevalier, comme une chambrière,
«Vous faudrait-il donner la nuit entière
«Pour obtenir cet oisel tant chéri ?»
Il répétait les paroles d’Elmance,
Et sa mémoire en cette circonstance
Troubla le cercle et non moins le mari,
On doit juger de l’énorme scandale
Et du courroux du sire châtelain ;
Il n’avait pas un ami dans la salle
Qui ne portât sur lui regard malin.
Voyez aussi le dépit de la dame,
A cette scène, à ce propos infâme
Qui méchamment attaquait sa vertu ;
Elle pleurait. On sait qu’en telle affaire
Pleurer d’abord est tout ce qu’on doit faire,
Quand de l’honneur le cas est débattu.
Pour se venger, et bouillant de colère,
Le châtelain tire déjà son fer.
Lors le prieur en ange tutélaire :
«Sire, dit-il, voici tour de l’enfer ;
« Avez-vous vu jamais pareil plumage,
«Et d’un tel drôle entendu le ramage ?
«Dieu ne le fit, tenez-le pour certain ;
«Il est forcé par la sorcellerie;
«C’est l’ennemi de la chevalerie,
«Et tout en lui retrace un franc lutin.»
Il n’en fut pas un seul dans l’assemblée
Qui n’applaudît au discours du prieur ;
Puis celui-ci vers la dame troublée
Se retournant : «Venez, ma chère sœur,
«Quittons tous deux l’honorable auditoire ;
«Je veux vous suivre au prochain oratoire
«Pour vous ouïr en ministre de Dieu,
«Et, dans ce cas de trop grave importance,
«Vous condamner à juste pénitence
«Si d’un méfait vous me faites l’aveu.»
Une heure après, le moine charitable
Seul reparut, rouge et fort animé :
«Je l’avais dit, que c’était tour du diable ;
«Et vous, seigneur, vous, digne d’être aimé,
«Tenez pour sûr que cette noble dame,
«Digne de vous, pure de corps et d’âme,
«N’a de tout point rien à se reprocher ;
«Et si quelqu’un en doute, à l’instant même
«Sur lui soudain je lance l’anathème :
«Croire le mal, c’est doublement pécher. »
Après cela, l’on vient, l’on félicite
Le châtelain déchargé du fardeau ;
Mais pour punir un discours illicite,
Maître prieur tord le col à l’oiseau.
Il fut le seul qui perdit à l’affaire ;
Car au scandale il fallait satisfaire :
Le babillard méritait son destin.
Vous le savez, point n’est mal ce qu’on cache
Tout révéler est d’un sot ou d’un lâche,
Le vrai plaisir est toujours clandestin.
“L’oiseau Vert”