Δημάδης ὁ ῥήτωρ
“L’Orateur Démade” – L’orateur Démade parlait un jour au peuple d’Athènes. Comme on ne prêtait pas beaucoup d’attention à son discours, il demanda qu’on lui permit de conter une fable d’Ésope. La demande accordée, il commença ainsi : « Déméter, l’hirondelle et l’anguille faisaient route ensemble ; elles arrivèrent au bord d’une rivière ; alors l’hirondelle s’éleva dans les airs, l’anguille plongea dans les eaux », et là-dessus il s’arrêta de parler. « Et Déméter, lui cria-t-on, que fit-elle ? — Elle se mit en colère contre vous, répondit-il, qui négligez les affaires de l’État, pour vous attacher à des fables d’Ésope. »
Ainsi parmi les hommes ceux-là sont déraisonnables qui négligent les choses nécessaires et préfèrent celles qui leur font plaisir.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Pouvoir des Fables
La qualité d’ambassadeur
Peut-elle s’abaisser à des contes vulgaires?
Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères?
S’ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point traités par vous de téméraires?
Vous avez bien d’autres affaires
A démêler que les débats
Du lapin et de la belette.
Lisez-les, ne les lisez pas;
Mais empêchez qu’on ne nous mette
Toute l’Europe sur les bras.
Que de mille endroits de le terre
Il nous vienne des ennemis,
J’y consens; mais que l’Angleterre
Veuille que nos deux rois se lassent d’être amis,
J’ai peine à digérer la chose.
N’est-il point encor temps que Louis se repose?
Quel autre Hercule enfin ne trouvait las
De combattre cette hydre ? Et faut-il qu’elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras?
Si votre esprit plein de souplesse,
Par éloquence et par adresse,
Peut adoucir les coeurs et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons: c’est beaucoup
Pour un habitant du Parnasse.
Cependant faites moi la grâce
De prendre en don ce peu d’encens;
Prenez en gré mes voeux ardents,
Et le récit en vers qu’ici je vous dédie.
Son sujet vous convient, je n’en dirai pas plus:
Sur les éloges que l’envie
Doit avouer qui vous sont dus,
Vous ne voulez pas qu’on appuie.
Dans Athèneautrefois, peuple vain et léger,
Un orateur , voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune; et d’un art tyrannique,
Voulant forcer les coeurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l’écoutait pas. L’orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes:
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put.
Le vent emporta tout, personne ne s’émut;
L’animal aux têtes frivoles,
Etant fait à ces traits, ne daignait l’écouter;
Tous regardaient ailleurs; il en vit s’arrêter
A des combats d’enfants et point à ses paroles.
Que fit le harangueur? Il prit un autre tour.
« Céres , commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l’anguille et l’hirondelle;
Un fleuve les arrête, et l’anguille en nageant,
Comme l’hirondelle en volant,
Le traversa bientôt.» L’assemblée à l’instant
Cria tout d’une voix: « Et Céres, que fit-elle?
– Ce qu’elle fit? Un prompt courroux
L’anima d’abord contre vous.
Quoi? de contes d’enfants son peuple s’embarrasse!
Et du péril qui la menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l’effet!
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait?»
A ce reproche l’assemblée,
Par l’apologue réveillée,
Se donne entière à l’orateur:
Un trait de fable en eut l’honneur.
Nous sommes tous d’Athènes en ce point, et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d’Ane m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on: je le crois; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)