Par la servile Flatterie,
La libre Vérité loin des Cours fut bannie :
Peur de bien des Mortels, elle y voulut rentrer ;
Mais lorsque sa bouche ingénue,
Son austère candeur, sa vertu toute nue,
Près des Grands se vinrent montrer ;
Sous le fard & les fleurs sa Rivale adorée,
Caressant leurs défauts de sa langue dorée,
Fit repousser encore avec sévérité
L’importune Sincérité.
Cette fille des Dieux eut recours à ses pères ;
En sa faveur ils parlèrent aux Rois,
Mais les Rois, comme on sait, ne les écoutent guère.
Enfin, la Vérité, pour reprendre ses droits,
Fut réduite à s’unir au Mensonge lui-même.
Il fut réglé, dans le Conseil Suprême,
Que l’Hymen un moment les joindrait tous les deux,
Et que l’enfant qui naîtrait d’eux,
En conservant les traits & la voix de son père,
Aurait pourtant le cœur & l’esprit de sa mère.
La Fable fut son nom. Son visage imposteur
La fit chérir soudain du peuple adulateur,
Comme si c’eût été le Mensonge en personne.
Elle obtint son entrée au Trône ;
Même au petit couvert on lui donna l’accès.
Mais dès-lors les Flatteurs perdirent leur procès.
La Fable, en peu de jours , sous de riants emblèmes,
Sut de la Vérité faire aimer les portraits,
Et, par d’innocents stratagèmes,
Débitait, en mentant, les discours les plus vrais.
Ce n’est pas tout. Ô merveille inouïe !
De son Art tout-puissant l’incroyable magie,
Fit parler à son gré les hôtes des forêts,
Les habitants des airs & des campagnes,
Les arbres, les rochers, les fleuves, les montagnes,
Et jusques aux Poissons muets.
Dès qu’elle commandait, tout prenait la parole,
Pour annoncer aux Rois l’utile Vérité :
Elle conserve encor la même autorité,
Et du vrai, pour les Grands, elle est toujours l’école.
“L’Origine de La Fable”