Certain ours mal léché, n’ayant ri de ses jours,
S’avisa de vouloir devenir philosophe :
On dit que Jupiter fit de la même étoffe
Les philosophes et les ours.
Les premiers quelquefois étant d’humeur brutale,
Un ours peut embrasser cette profession.
Celui que j’introduis choisit dans la morale.
Pour première vertu, la modération.
Au fond d’un bois obscur, un antre solitaire
Lui paraît propre à son projet.
Rien, dans ce lieu caché, ne le pouvait distraire.
Il est vrai ; mais aussi, seul en cette forêt,
Quel mérite avait-il de vaincre la colère ?
Tout ermite est bâti de cette façon-là :
Il cherche les déserts, les bois, la solitude.
Eh ! mon ami, ce n’est pas là
Que l’on peut de son cœur faire une heureuse étude :
Le vice y dort, mais n’y meurt pas.
Il n’est pas étonnant qu’à l’abri de l’injure
La vengeance soit sans appas.
Loin de tout bienfaiteur, c’est chose aussi très sûre
Que tu ne seras point ingrat.
Pauvre, tu ne saurais abuser des richesses.
Seul, comment serais-tu fourbe, indiscret ou fat ?
Mais tu vis avec tes faiblesses ;
Tu fuis pour t’affranchir d’un trop rude combat.
Revenons à notre ours, qui, plein d’un zélé extrême,
Et brûlant d’arriver à la perfection ;
Réfléchissait sur l’art de se vaincre soi-même.
Un rat interrompit sa méditation.
De notre sage alors le cerveau se dérange ;
Seigneur ours oubliant aussitôt sa ferveur,
Contre ce rat en fureur,
Le poursuit, l’atteint et se venge.
Gens qui vous séquestrez, connaissez votre erreur :
Le feu des passions couve dans votre cœur !
Ainsi qu’un furieux qui souffre qu’on le lie.
Sait en dépit du frein jouir de sa folie ,
Tel a sevré ses sens d’un poison séducteur,
De qui l’âme en secret en savoure la lie.
“L’ours et le rat”