Louis Tremblay
Poète et fabuliste XIXº – L’Un et l’Autre
«Vous allez publier des Fables, m’a-t-on dit ?
Des Fables ?… après La Fontaine ?…
Est-ce… bien vrai ?»
— La chose est très certaine.
Mais de la vérité la Fable c’est l’habit:
Et parce qu’un tailleur habile
En fit de coupe exquise et d’un travail charmant,
Faut-il n’en plus faire, vraiment ?
D’ailleurs, pleins d’élégance et de goût et de style,
Tissés de soie et de velours.
Ce sont là des habits faits pour les Jours de fête:
Mais d’une coupe moins parfaite,
N’en faut-il pas aussi pour tous les jours ?
Et j’en ai fait.. La chose est faite !
En y semant sa grâce et sa naïveté,
D’ailleurs, d’ailleurs ce La Fontaine
Aurait-il de la vérité Rétréci, fermé le domaine,
— Ce domaine de l’infini ?…
Non, non! la vérité c’est comme un champ béni
Qui couve une moisson superbe,
Où plus les moissonneurs abondent, plus les blés
Semblent croître et s’étendre ; où tous sont appelés,
Enfin, pour y cueillir leur gerbe.
Il est vrai que ce champ de ronces hérissé
Bien souvent a blessé
La main qui se baissait pour en arracher l’herbe…
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C’est qu’elle est un buisson aussi, la vérité,
Sont chaque épine aiguë accroche,
Perce, déchire, hélas! de tout côté
Celui qui s en approche.
C’est ce qui fait que, bien souvent,
Beaucoup sans s’arrêter, beaucoup passent devant.
— A propos de buisson, quelqu’un, près d’une haie
Passant un jour, dirait : « J’ai peur de ces buissons;
Ce fouillis épineux où se blottit l’orfraie
M’effraie ;
Passons vite, passons! »
Six mois après ce jour d’un hiver sombre,
Près du même buisson la même voix disait:
« Oh ! voyez donc les fleurs sans nombre
Que l’hiver dans son sein glaçait!
Venez, venez voir l’églantine,
Qu’un pur carmin vient colorer,
S’y marier à la blanche aubépine;
Oh! venez les cueillir, ou bien les respirer ! »
— Coudre une image, use figure
A chacune de ces leçons
Que la vérité donne — et que nous repoussons, —
Ce n’est pas imiter tel grand maître en peinture ;
C’est faire comme Dieu, maitre de la nature :
C’est mettre des fleurs aux boissons.
Louis Tremblay, L’Un et l’Autre
…(La raison et l’expérience) sont des pays assez secs ; il faut égayer l’esprit si l’on veut qu’il s’éveille : les buissons plaisent quand ils sont fleuris.
(Le Prêtre Jouvency.)