Guy le Ray
Poète et fabuliste contemporain – Édito – Marie de France
Site de l’auteur : fables et poèmes
Fables poèmes sur ce site
MARIE DE FRANCE
Publié le : 07/02/2015
Que dire de l’oubli absolu pendant six siècles des fables de la première poétesse française ? Peut-être en avait-elle le pressentiment quand, dans l’épilogue de son recueil de 103 fables, elle écrivait dans le Français du Moyen Âge les quatre vers suivants :
que en romanz ai treité e dit
me numerai pur remembrance
Marie ai nun, si sui de France.
Qu’en français j’ai conçu et dit,
Me nommerai pour remembrance :
Marie ai nom, et suis de France.
Cette traduction est de Françoise Morvan, dans son remarquable livre sur les fables de Marie de France, qu’elle restitue en respectant le style et la forme rimée des vers, livre publié par les Éditions BABEL- ACTES SUD 2010.
Ce n’est qu’au 19ème siècle, par la découverte de plus de 30 manuscrits médiévaux enluminés de ses 103 fables, que Marie de France vient prendre sa place dans l’histoire de la littérature française. La Fontaine, le plus illustre des fabulistes, ignorait donc qu’il avait été précédé par un auteur de grand talent, inspiré comme lui-même pour une grande part de son oeuvre par Ésope, le père du genre. D’ailleurs, au Moyen Âge, on appelait les recueils de fables des Ysopets.
De la vie de Marie de France, on ne sait pratiquement rien, si ce n’est, comme elle le dit, qu’elle est de France. Cette information est capitale car elle vivait en Angleterre auprès de Seigneurs puissants, dans la deuxième moitié du 12ème siècle. Elle tient d’ailleurs à préciser dans l’épilogue qu’elle a écrit ce livre pour l’amour du Comte Guillaume. Certains disent qu’elle était abbesse de l’abbaye de Reading, d’autres de celle de Shaftesbury.
Si sa vie reste mystérieuse, son talent est limpide et son regard sur le monde qui l’entoure lucide et impitoyable. Pour servir les courts récits que sont ses fables, elle écrit en vers rimés dans un style unique, vif, imagé, moderne même, malgré le côté uniforme des vers de huit syllabes. Ses fables sont une forte critique sociale et une stigmatisation sans concession des puissants prêts à tout pour le pouvoir. Par la traduction limpide de Françoise Morvan, nous pouvons apprécier pleinement les talents littéraires de Marie de France et la grande force morale qui traverse ses fables, dans une époque où la “ raison du plus fort était toujours la meilleure “.
Femme moderne, Marie de France l’était certainement, femme courageuse aussi car dénonçant les exactions des puissants, femme visionnaire enfin lorsqu’elle montre que le mal n’est pas seulement dans ceux qui ont le pouvoir, mais qu’il est tapi dans tout un chacun et prêt à surgir à la moindre occasion.
Ce côté visionnaire apparaît encore dans l’épilogue quand elle écrit :
prendereient sur eus mun labur
Ne voil que nul sur li le die
cil fet que fol ki sei ublie.
Mettent sous leur nom mon labeur.
Je veux qu’à nul il ne soit dit :
Fol est qui soi-même s’oublie.
Six siècles avant Beaumarchais, qui a tant œuvré pour la reconnaissance et la préservation des droits des auteurs, Marie de France en avait perçu la nécessité.
- Fables de Marie de France
- Guy Le ray, contributeur littéraire.
Les éditos de Guy Le Ray:
- Phèdre…un oubli de quinze siècles
- La Fontaine, le Géant
- Florian le Fabuliste.
- Ésope et la Fable.
- Qui est Marie de France ?
- La Petite histoire du livre de fables et poèmes.
Guy Le Ray