Nouvelle tirée de Boccace
Le voile n’est le rempart le plus sûr
Contre l’amour, ni le moins accessible:
Un bon mari, mieux que grille ni mur,
Y pourvoira, si pourvoir est possible.
C’est à mon sens une erreur trop visible
A des parents, pour ne dire autrement,
De présumer, après qu’une personne
Bon gré, mal gré, s’est mise en un couvent,
Que Dieu prendra ce qu’ainsi l’on lui donne.
Abus, abus; je tiens que le Malin
N’a revenu plus clair et plus certain
(Sauf toutefois l’assistance divine).
Encore un coup, ne faut qu’on s’imagine
Que d’être pure et nette de péché
Soit privilège à la guimpe attaché.
Nenni da, non; je prétends qu’au contraire,
Filles du monde ont toujours plus de peur,
Que l’on ne donne atteinte à leur honneur;
La raison est qu’elles en ont affaire.
Moins d’ennemis attaquent leur pudeur.
Les autres n’ont pour un seul adversaire.
Tentation, fille d’Oisiveté,
Ne manque pas d’agir de son côté:
Puis le Désir, enfant de la Contrainte.
Ma fille est nonne, Ergo c’est une sainte,
Mal raisonner. Des quatre parts les trois
En ont regret et se mordent les doigts;
Font souvent pis; au moins l’ai-je ouï dire;
Car pour ce point je parle sans savoir.
Boccace en fait certain conte pour rire,
Que j’ai rimé comme vous allez voir.
Un bon vieillard en un couvent de filles
Autrefois fut, labourait le jardin.
Elles étaient toutes assez gentilles,
Et volontiers jasaient dès le matin.
Tant ne songeaient au service divin,
Qu’à soi montrer ès parloirs aguimpées
Bien blanchement, comme droites poupées,
Prête chacune à tenir coup aux gens;
Et n’était bruit qu’il se trouvât léans
Fille qui n’eût de quoi rendre le change,
Se renvoyant l’une à l’autre l’éteuf.
Huit soeurs étaient, et l’abbesse sont neuf.
Si mal d’accord que c’était chose étrange.
De la beauté, la plupart en avaient;
De la jeunesse, elles en avaient toutes.
En cettui lieu beaux pères fréquentaient,
Comme on peut croire; et tant bien supputaient
Qu’il ne manquait à tomber sur leurs routes.
Le bon vieillard jardinier dessus dit,
Près de ces soeurs perdait presque l’esprit;
A leur caprice il ne pouvait suffire.
Toutes voulaient au vieillard commander;
Dont, ne pouvant entre elles s’accorder,
Il souffrait plus que l’on ne saurait dire.
Force lui fut de quitter la maison.
Il en sortit de la même façon
Qu’était entré là dedans le pauvre homme,
Sans croix ne pile, et n’ayant rien en somme
Qu’un vieil habit. Certain jeune garçon
De Lamporech, si j’ai bonne mémoire,
Dit au vieillard un beau jour après boire,
Et raisonnant sur le fait des nonnains:
Qu’il passerait bien volontiers sa vie
Près de ces soeurs; et qu’il avait envie
De leur offrir son travail et ses mains:
Sans demander récompense ni gages.
Le compagnon ne visait à l’argent:
Trop bien croyait, ces soeurs étant peu sages,
Qu’il en pourrait croquer une en passant,
Et puis une autre, et puis toute la troupe.
Nuto lui dit (c’est le nom du vieillard):
Crois-moi, Mazet, mets-toi quelque autre part.
J’aimerais mieux être sans pain ni soupe
Que d’employer en ce lieu mon travail.
Les nonnes sont un étrange bétail.
Qui n’a tâté de cette marchandise
Ne sait encor ce que c’est que tourment.
Je te le dis, laisse là ce couvent;
Car d’espérer les servir à leur guise,
C’est un abus; l’une voudra du mou,
L’autre du dur; par quoi je te tiens fou,
D’autant plus fou que ces filles sont sottes;
Tu n’auras pas oeuvre faite, entre nous;
L’une voudra que tu plantes des choux,
L’autre voudra que ce soit des carottes.
Mazet reprit: Ce n’est pas là le point.
Vois-tu, Nuto, je ne suis qu’une bête;
Mais dans ce lieu tu ne me verras point
Un mois entier sans qu’on m’y fasse fête.
La raison est que je n’ai que vingt ans;
Et comme toi je n’ai pas fait mon temps.
Je leur suis propre, et ne demande en somme
Que d’être admis. Dit alors le bon homme:
Au factotum tu n’as qu’à t’adresser;
Allons-nous-en de ce pas lui parler.
– Allons, dit l’autre. Il me vient une chose
Dedans l’esprit; je ferai le muet
Et l’idiot. – Je pense qu’en effet,
Reprit Nuto, cela peut être cause
Que le pater avec le factotum
N’auront de toi ni crainte ni soupçon.
La chose alla comme ils l’avaient prévue.
Voilà Mazet, à qui pour bienvenue
L’on fait bêcher la moitié du jardin.
Il contrefait le sot et le badin,
Et cependant laboure comme un sire.
Autour de lui les nonnes allaient rire.
Un certain jour le compagnon dormant,
Ou bien feignant de dormir, il n’importe:
(Boccace dit qu’il en faisait semblant),
Deux des nonnains le voyant de la sorte
Seul au jardin, car sur le haut du jour
Nulle des soeurs ne faisait long séjour
Hors le logis, le tout crainte du hâle;
De ces deux donc, l’une approchant Mazet,
Dit à sa soeur: Dedans ce cabinet
Menons ce sot. Mazet était beau mâle,
Et la galande à le considérer
Avait pris goût; pourquoi, sans différer,
Amour lui fit proposer cette affaire.
L’autre reprit: Là dedans? et quoi faire?
– Quoi? dit la soeur, je ne sais, l’on verra;
Ce que l’on fait alors qu’on en est là:
Ne dit-on pas qu’il se fait quelque chose?
– Jésus, reprit l’autre soeur se signant,
Que dis-tu là? notre règle défend
De tels pensers. S’il nous fait un enfant?
Si l’on nous voit? Tu t’en vas être cause
De quelque mal. – On ne nous verra point,
Dit la première, et quant à l’autre point
C’est s’alarmer avant que le coup vienne.
Usons du temps, sans nous tant mettre en peine,
Et sans prévoir les choses de si loin.
Nul n’est ici, nous avons tout à point,
L’heure, et le lieu si touffu, que la vue
N’y peut passer: et puis sur l’avenue
Je suis d’avis qu’une fasse le guet:
Tandis que l’autre étant avec Mazet,
A son bel aise aura lieu de s’instruire:
Il est muet et n’en pourra rien dire.
– Soit fait, dit l’autre; il faut à ton désir
Acquiescer, et te faire plaisir.
Je passerai, si tu veux, la première
Pour t’obliger: au moins à ton loisir
Tu t’ébattras puis après de manière
Qu’il ne sera besoin d’y retourner:
Ce que j’en dis n’est que pour t’obliger.
– Je le vois bien, dit l’autre, plus sincère:
Tu ne voudrais sans cela commencer
Assurément, et tu serais honteuse.
Tant y resta cette soeur scrupuleuse,
Qu’à la fin l’autre allant la dégager
De faction la fut faire changer.
Notre muet fait nouvelle partie:
Il s’en tira non si gaillardement:
Cette soeur fut beaucoup plus mal lotie;
Le pauvre gars acheva simplement
Trois fois le jeu, puis après il fit chasse.
Les deux nonnains n’oublièrent la trace
Du cabinet non plus que du jardin;
Il ne fallait leur montrer le chemin.
Mazet pourtant se ménagea de sorte
Qu’à soeur Agnès, quelques jours ensuivant,
Il fit apprendre une semblable note
En un pressoir tout au bout du couvent;
Soeur Angélique et soeur Claude suivirent,
L’une au dortoir, l’autre dans un cellier:
Tant qu’à la fin la cave et le grenier
Du fait des soeurs maintes choses apprirent.
Point n’en resta que le sire Mazet
Ne régalât au moins mal qu’il pouvait.
L’abbesse aussi voulut entrer en danse.
Elle eut son droit, double et triple pitance,
De quoi les soeurs jeûnèrent très longtemps.
Mazet n’avait faute de restaurants;
Mais restaurants ne sont pas grande affaire
A tant d’emploi. Tant pressèrent le hère,
Qu’avec l’abbesse un jour venant au choc:
J’ai toujours ouï, ce dit-il, qu’un bon coq
N’en a que sept; au moins qu’on ne me laisse
Toutes les neuf. – Miracle, dit l’abbesse;
Venez, mes soeurs, nos jeûnes ont tant fait
Que Mazet parle. A l’entour du muet,
Non plus muet, toutes huit accoururent,
Tinrent chapitre, et sur l’heure conclurent
Qu’à l’avenir Mazet serait choyé
Pour le plus sûr; car qu’il fût renvoyé,
Cela rendrait la chose manifeste.
Le compagnon bien nourri, bien payé
Fit ce qu’il put, d’autres firent le reste.
Il les engea de petits Mazillons,
Desquels on fit de petits moinillons:
Ces moinillons devinrent bientôt pères;
Comme les soeurs devinrent bientôt mères;
A leur regret, pleines d’humilité;
Mais jamais nom ne fut mieux mérité.
“Mazet de Lamporechio “