De très-bons juges préfèrent cependant, aux fables littéraires d’Iriarte, les apologues de Samaniego, d’abord son disciple, et bientôt son rival. Zélé propagateur de la diffusion et du progrès des lumières, membre actif d’une de ces sociétés patriotiques qui, sous le nom d’Amis de la patrie, se formèrent sous Charles III dans les provinces vascongados, pour l’honneur et le bonheur de ce pays, Samaniego composa des apologues à l’adresse de la jeunesse des écoles, qui les répète encore aujourd’hui. La naïveté, l’abandon, la pointe de malignité de La Fontaine, son modèle, s’y rencontrent souvent, et le style de l’imitateur n’a pas la roideur de celui de Phèdre qui lui a fourni plusieurs sujets. Mais le fabuliste espagnol perdra toujours de son prix, par la comparaison que provoquent les sujets qu’il versifie. Samaniego peut surpasser Gay et Gellert, sans mériter néanmoins autre chose qu’une place subalterne dans la littérature générale de l’Europe.
De l’étude de cette période de la littérature espagnole qui s’écoula sous l’influence directe des principes et des modèles de la littérature française, il ressort que la poésie, quelques efforts qui aient été faits pour la ranimer, était radicalement épuisée. Le style gagna en correction, en simplicité, en clarté, sans retrouver le secret de l’enthousiasme et de la vigueur antiques.
Les Luzan, les Cadalso, les Iriarte, sont des esprits élégants et cultivés, des hommes de talent instruits ; qui, connaissant la valeur du bien dire, jaloux de procurer à leur patrie l’ornement et la gloire des lettres, prennent la lyre de propos délibéré, et se font poètes parce qu’il y a eu des poésies. Ils n’ont d’ailleurs absolument rien de nouveau à dire. Comme tant d’autres écrivains de décadence, ils ne font que regretter du vieux ; et ce n’est pas sans quelque impatience qu’on les voit reprendre en sous-œuvre ces thèmes usés dont la vraie grâce est dans les romances, faire de la poésie bucolique, même après Garcilaso, du pastiche d’Anacréon, je ne dis pas après Horace, mais après Villegas, ou tenter d’atteindre, d’après Voltaire, Bernis et Dorat, aux grâces de la poésie fugitive.
“Notice de Samaniego”
** Histoire la Littérature Espagnole par Eugène Baret (professeur de la littérature étrangère…) Paris 1863.