(Extrait) – Pierre Blanchet, né à Poitiers vers 1459, avait d’abord suivi le barreau dans cette ville où la Bazoche donnait de si belles représentations théâtrales. Il fut avocat sans doute, probablement avocat sous l’orme, suivant l’expression de la farce qu’on lui attribue; de plus, il était poète, il composait des rondeaux , des satires et des farces. Ce n’était point assez pour le faire subsister. A l’âge de quarante ans, il quitta brusquement le Palais et il embrassa l’état ecclésiastique ; on peut croire qu’il obtint un canonicat ou quelque bénéfice, dont les revenus lui permirent de vivre tranquille, pendant vingt ans encore, sans cesser toutefois de rimer; mais les huitains, les noëls et les dictés ou dits avaient succédé aux farces et aux satires.
Dans une lettre en vers que Pierre Gervaise, assesseur de l’official de Poitiers, adresse à Jean Bouchet, poète et procureur dans la môme ville (voy. les Épitres familières de J. Bouchet, fol. 22), la Rhétorique, personnifiée en muse, apparaît à l’auteur de la lettre et lui parle en ces termes :
Regarde aussi maistre Pierre Blanchet,
Qui sceut tant bien jouer de mon huchet (porte-voix),
Et composer satyres proterveuses,
Farces aussi, qui n’estoient ennuyeuses.
Maître Pierre Blanchet paraît donc être le prototype de maître Pierre Pathelin.
L’auteur de ces farces était mort en 1519, et son ami, son compagnon de la Bazoche, Jean Bouchet, avait composé une épitaphe, qui vaut une biographie de Pierre Blanchet.
Cy gist, dessoubz ce lapideux cachet,
Le corps de feu maistre Pierre Blanchet,
En son vivant, poète satyrique,
Hardy sans lettre et fort joyeux comique.
Luy, jeune estant, il suyvoit le Palais
Et composoit souvent rondeaux et laiz;
Faisoit jouer sur eschaffaulx Bazoche,
Et y jouoit par grant art sans reproche.
En reprenant, par ses satyricz jeux,
Vices publiez et abus outrageux;
Et tellement, que gens notez de vice
Le craignoient plus que les gens de justice
Ne que prescheurs et concionateurs,
Qui n’estoient pas si grans déclamateurs,
Et néantmoins, parce qu’il fut affable,
A tous estoit sa présence agréable.
Or, quant il eut quarante ans, un peu plus,
Tous ces esbats et jeuïx de luy forclus,
Il fut faict prestre, et en cest estat digne
Duquel souvent se réputoit indigne,
Il demeura vingt ans, très-bien disant
Heures et messe, et paisible gisant.
Et néantmoins, par passe-temps honneste,
Luy, qui n’estât barbare ne agreste,
Il composoit bien souvent vers, huytains,
Noëlz, dictez, de bonnes choses plains.
Et, pour la fin, son ordonnance ultime
Et testament feit en plaisante rithme,
Où plusieurs legs à tous ses amis feit,
Plus à plaisir qu’à singulier proffit :
Fusmes trois que ses exécuteurs nomme,
Lesquels chargea de faire dire en somme,
Après sa mort, des messes bien trois cens,
Et les païer de nostre bourse, sans
Rien de ses biens, lesquels laisseroit, prendre,
Comme assuré qu’à ce voudrions tendre.
Après mourut, sans regret volunliers,
L’an mil cinq cens et dix-neuf, à Poitiers,
Dont fut natif. Priez donc Dieu, pour l’ame
Du bon Blanchet, qui fut digne qu’on l’ame!
Maistre Pierre Pathelin suivi de Nouveau Pathelin et du Testament de Pathelin: Farces du quinzième siècle… , Adolphe Delahays, 1859 (Notice sur Pierre Blanchet)
- Notice sur la vie de Pierre Blanchet , 1459 – 1519