Socrate un jour faisant bâtir,
Chacun censurait son ouvrage :
L’un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d’un tel personnage ;
L’autre blâmait la face, et tous étaient d’avis
Que les appartements en étaient trop petits.
Quelle maison pour lui ! L’on y tournait à peine.
Plût au ciel que de vrais amis,
Telle qu’elle est, dit-il, elle pût être pleine !
Le bon Socrate avait raison
De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Chacun se dit ami ; mais fol qui s’y repose :
Rien n’est plus commun que ce nom,
Rien n’est plus rare que la chose.
Fable liée : Parole de Socrate par Neufchateau
Analyses de Chamfort – 1796.
Socrate , célèbre philosophe grec. L’oracle d’Apollon le déclara le plus sage des hommes : il justifia cet éloge par l’exercice constant de toutes les ver tus. La force de sa raison l’ éleva jusqu’à la connoissance d’un seul Dieu ; découverte sublime qui lui valut un arrêt de mort. Il fut condamné à boire la ciguë. L’histoire de ses derniers momens nous a été transmise par Platon, son disciple, dans le traité de l’Immortalité de l’Âme. Il mourut avec une constance admirable, 400 ans avant l’ère chrétienne, âgé de 70 ans. Un poète moderne n’a pas craint de l’appeler le demi-Dieu d’Athènes, d’après Erasme et Cicéron ( M. Aubert, L.V. fab. 7).
(1) Le bon Socrate avoit raison. Phèdre voulant donner au mot de sa fable plus d’autorité, l’attribue à Socrate, contre le silence de toute l’antiquité. Notre poète l’a imité; mais en corrigeant le titre de l’apologue latin , ainsi conçu : Socrates ad Amicos. Un savant observe avec justesse que « cette fable traite des amis, mais ne s’adresse pas à des amis». ( Jos. Scheffer, Edit. Phœdri ad argumenta. ) La Fontaine a suivi la lumière que le bon sens lui présentoit.
(2) Rien n’est plus commun que ce nom. Quelqu’un a dit de l’ Amour, qu’il ressemble aux esprits: « Tout le monde en parle, et personne n’en a vu ». Ne pourroit-on pas en dire à-peu-près autant de l’amitié ? ( Poggiana , T. I. p. 298. ) (Parole de Socrate)
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
XVII. Parole de Socrate.
Phèdre, liv. 3, F.9.
Pourquoi mettre ce mot de Socrate dans un recueil d’apologues ? (Ch.)
Phèdre est le seul écrivain de l’antiquité qui rapporte cette particularité relative à Socrate. Diogène pense, au contraire, dit que, loin d’avoir jamais fait bâtir, il refusa un grand terrein qu’Alcibiade lui avait donné à cet effet. La seule circonstance de la vie du philosophe qui offre quelque rapport avec cette Fable,est le trait suivant, rapporté par le même Laërce. Un jour qu’il avait invité à dîner des personnes riches, comme Xantippe avait honte du régal qu’il se préparait à leur donner : « Ne vous inquiétez pas, lui dit Socrate , si mes convives sont sobres et discrets, ils se contenteront de ce qu’il y aura. »
Voici un autre mot célèbre de Henri IV, bien digne de Socrate ou de Marc-Aurèle, qui n’est pas non plus sans quelque analogie avec la première version de cette Fable. Ce prince montrant à l’ambassadeur d’Espagne les bâtiments de Fontainebleau, qui n’étaient point encore achevés, celui-ci trouva la chapelle trop petite, alléguant que Dieu y serait logé bien à l’étroit.« Nous savons encore mieux le loger dans nos cœurs que dans des pierres, » répondit le monarque.