Borée et le Soleil virent un Voyageur
Qui s’était muni par bonheur
Contre le mauvais temps. (On entrait dans l’Automne,
Quand la précaution aux voyageurs est bonne)
Il pleut ; le Soleil luit ; et l’écharpe d’Iris
Rend ceux qui sortent avertis
Qu’en ces mois le manteau leur est fort nécessaire ;
Les Latins les nommaient douteux pour cette affaire.
Notre homme s’était donc à la pluie attendu :
Bon manteau bien doublé ; bonne étoffe bien forte.
Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvu
A tous les accidents ; mais il n’a pas prévu
Que je saurai souffler de sorte
Qu’il n’est bouton qui tienne : il faudra, si je veux,
Que le manteau s’en aille au Diable.
L’ébattement pourrait nous en être agréable :
Vous plaît-il de l’avoir ? – Eh bien, gageons nous deux,
(Dit Phébus) sans tant de paroles,
A qui plus tôt aura dégarni les épaules
Du Cavalier que nous voyons.
Commencez. Je vous laisse obscurcir mes rayons.
Il n’en fallut pas plus. Notre souffleur à gage
Se gorge de vapeurs, s’enfle comme un ballon,
Fait un vacarme de démon,
Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage
Maint toit qui n’en peut mais, fait périr maint bateau :
Le tout au sujet d’un manteau.
Le Cavalier eut soin d’empêcher que l’orage
Ne se pût engouffrer dedans.
Cela le préserva ; le Vent perdit son temps :
Plus il se tourmentait, plus l’autre tenait ferme ;
Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu’il fut au bout du terme
Qu’à la gageure on avait mis,
Le Soleil dissipe la nue,
Recrée, et puis pénètre enfin le Cavalier,
Sous son balandras fait qu’il sue,
Le contraint de s’en dépouiller.
Encore n’usa-t-il pas de toute sa puissance.
Plus fait douceur que violence.
Études et analyses sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
Lokman, F. 34 (Phébus et Borée)
Voici une des meilleures Fables. L’auteur y est grand poète,c’est-à-dire grand peintre, comme sans dessein, et en suivant le mouvement de son sujet. Les descriptions agréables et brillantes y sont nécessaires au récit du fait. Observons surtout ce vers imitatif:
Siffle, souffle, tempête………..
N’oublions pas non plus ce trait qui donne tant à penser :
……..Fait périr maint bateau,
Le tout au sujet d’un manteau.
V. 7. Les Latins les nommoient douteux pour cette affaire.
Douteux, incertains.
Incertis si mensibus amnis abundans.
Exit…….(Virg. Gcorg. ,liv. I,V. 115.)
V. 9. Notre homme s’étoit donc à la pluie attendu,
Bon manteau bien double, bonne étoile bien forte.
La liaison nécessaire du verbe, entre ces deux vers, supprimée à dessein pour rendre l’image plus vive. Cette sorte d’ellipse est très-commune dans le langage familier; mais il y a une sorte de témérité à s’en servir en, écrivant même de ce style.
Plutarque, dans ses Préceptes de Mariage, tire de cette Fable une assez singulière moralité, que nous extrairons, de préférence, de la vieille Fable du Soleil et la Bise, du bon Philibert Hégémon, qui la rapporte:
Des femmes sont tant de naturel nices ,
Que qui voudra avec efforts ôter
Leurs affiquets et superflus délices,
Onc ne pourra les surmonter.
Mais, au contraire, alors qu’avec raison
On les remonstre et reprend doucement,
La paix se voit toujours à la maison.
Et tout orgueil laissent patiemment.
Le P. Sanlèque a trouvé le moyen de coudre cette Fable, qu’il a tournée en vers alexandrins, à son épitre à un prélat. On la retrouve isolément, sous le tire de l’aquilon et le Soleil, dans le Fablier français (liv. 15, fab. 20.) Phébus et Borée.