Phædri libellos legere si desideras,
Vaces oportet, Eutyche, a negotiis,
Ut liber animus sentiat vim carminis.
Verum inquis tanti non est ingenium tuum,
Momentum ut horæ pereat officiis meis.
Non ergo causa est manibus id tangi tuis,
Quod occupatis auribus non conuenit.
Fortasse dices: Aliquæ venient feriæ,
Quæ me soluto pectore ad studium vocent.
Legesne, quæso, potius viles nenias,
Impendas curam quam rei domesticæ,
Reddas amicis tempora, uxori vaces,
Animum relaxes, otium des corpori,
Ut adsuetam fortius præstes vicem?
Mutandum tibi propositum est et vitæ genus,
Intrare si Musarum limen cogitas.
Ego, quem Pierio mater enixa est jugo,
In quo Tonanti sancta Mnemosyne Jovi,
Fecunda nouies, artium peperit chorum,
Quamuis in ipsa pæne natus sim schola,
Curamque habendi penitus corde eraserim,
Nec Pallade hanc inuita in vitam incubuerim,
Fastidiose tamen in coetum recipior.
Quid credis illi accidere qui magnas opes
Exaggerare quærit omni vigilia,
Docto labori dulce præponens lucrum?
Sed jam, quodcumque fuerit, ut dixit Sinon
Ad regem cum Dardaniæ perductus foret,
Librum exarabo tertium Æsopi stilo,
Honori et meritis dedicans illum tuis.
Quem si leges, lætabor; sin autem minus,
Habebunt certe quo se oblectent posteri.
Nunc, fabularum cur sit inuentum genus,
Breui docebo. Seruitus obnoxia,
Quia quæ volebat non audebat dicere,
Affectus proprios in fabellas transtulit,
Calumniamque fictis elusit jocis.
Ego illius pro semita feci viam,
Et cogitavi plura quam reliquerat,
In calamitatem deligens quædam meam.
Quodsi accusator alius Seiano foret,
Si testis alius, judex alius denique,
Dignum faterer esse me tantis malis,
Nec his dolorem delenirem remediis.
Suspicione si quis errabit sua,
Et, rapiens ad se quod erit commune omnium,
Stulte nudabit animi conscientiam,
Huic excusatum me velim nihilo minus.
Neque enim notare singulos mens est mihi,
Verum ipsam vitam et mores hominum ostendere.
Rem me professum dicet fors aliquis grauem.
Si Phryx Æsopus potuit, si Anacharsis Scythes
æternam famam condere ingenio suo,
Ego litteratæ qui sum proprior Græciæ,
Cur somno inerti deseram patriæ decus,
Threissa cum gens numeret auctores deos,
Linoque Apollo sit parens, Musa Orpheo,
Qui saxa cantu movit et domuit feras
Hebrique tenuit impetus dulci mora?
Ergo hinc abesto, Livor, ne frustra gemas,
Quom jam mihi sollemnis dabitur gloria.
Induxi te ad legendum? Sincerum mihi
Candore noto reddas judicium peto.
Prologue à Eutyche
Si vous voulez, mon cher Eutyche, lire le petit ouvrage de Phèdre, il faut un moment oublier les affaires; votre esprit, libre alors, pourra goûter le charme de la poésie. — Mais, me direz- vous, ton mérite n’est pas tel, qu’il me faille perdre un seul des moments dus à mes travaux. —En ce cas, que vos mains ne touchent point à ce livre, il ne saurait convenir à un esprit préoccupé. — Il viendra, répondrez-vous peut-être, quelques jours de fêtes, qui, en me donnant la liberté, m’appelleront à l’étude. — Mais, je vous le demande, lirez-vous ces bagatelles au lieu de vaquer à vos affaires, de visiter vos amis, d’être tout entier à votre femme, de détendre votre esprit, de reposer votre corps, pour reprendre avec plus de vigueur vos occupations ordinaires?
Il faut changer de plan et de manière de vivre, si vous songez à pénétrer dans le sanctuaire des Muses. Quant à moi, ma mère me mit au jour sur le sommet du Piérius, où Mnémosyne, neuf fois féconde, avait donné à Jupiter Tonnant les protectrices des arts. Quoique je sois né presque au sein de leur école, que j’aie étouffé dans mon âme toute ambition de fortune, et que j’aie obtenu des succès marquants, les Muses ne me reçoivent encore qu’avec dédain. Qu’arrivera-t-il donc à celui qui s’épuise en veilles pour amonceler des trésors, préférant une douce opulence à de doctes travaux? Après tout, advienne que pourra, comme disait Sinon, quand on le conduisit devant le roi de Pergame ; je vais donner un troisième livre écrit dans le style d’Ésope et je le dédie à vos talents et à votre mérite. Si vous le lisez, je me réjouirai; sinon, la postérité y trouvera certainement quelque plaisir.
Maintenant, je dirai en peu de mots pourquoi on imagina l’apologue. La servitude, entourée de dangers, ne pouvant exprimer ses pensées, transporta ses sentiments dans les fables, et déjoua la malveillance par d’ingénieuses fictions. J’ai fait une large route du sentier d’Esope; et, en cherchant des sujets dans les malheurs que j’ai éprouvés, j’ai écrit plus de fables qu’il n’en avait laissé, et j’ai même traité plusieurs sujets pour mon malheur. Si j’avais eu un autre accusateur, un autre témoin, un autre juge que Séjan, j’avouerais avoir mérité tant d’infortunes, et je ne chercherais pas de tels remèdes à ma douleur.
Celui qui, s’égarant en de vains soupçons, s’appliquera à lui seul œ que j’ai écrit pour tous, trahira bien sottement le fond de sa conscience. Toutefois, je veux d’avance m’excuser auprès de lui; car je désire, non signaler des vices particuliers, mais retracer en général les mœurs et la vie humaine. Peut-être me dira-t-on que la tâche est lourde. Mais si Esope le Phrygien et le Scythe Anacharsis se sont immortalisés par leur génie, pourquoi, moi, qui liens de phis près à la Grèce savante, abandonnerais-je dans un lâche repos, la gloire de ma patrie? La Thrace compte aussi ses écrivains; Apollon ne fut-il pas le père de Linus? une Muse la mère d’Orphée, celui dont la lyre harmonieuse émut les rochers, dompta les bêtes féroces, arrêta le cours impétueux de l’Hèbre? Arrière donc, pâle Envie! car tu gémirais en vain de la gloire éclatante qui m’est réservée.
Je vous ai prié de me lire; mais je vous demande un jugement sincère et digne de votre impartialité. (Phaedrus ad Eutychum)