Pourquoi, célèbre La Fontaine,
Quand vous avez chante tant d’animaux divers,
M’avez-vous oublié? Je valois bien la peine
D’être aussi placé dans vos vers.
Je suis le plus joli du monde.
Ma queue, ornement sans pareil,
En été me défend des ardeurs du soleil :
J’en fais un parasol. Quand je veux passer l’onde,
Léger, ingénieux, l’écorce d’un ormeau
Me porte et me sert de bateau.
Ma queue alors est d’un nouvel usage;
Elle tient lieu de voile, et hâte mon passage.
Vous n’avez jamais fait de si riant tableau.
Vous chantez ma sœur la belette,
Les rats et même les souris.
Ah! que des animaux le fameux interprète
Du petit écureuil n’a-t-il connu le prix !
Votre muse naïve, en tous lieux estimée,
Eût étendu ma renommée.
Ce qui redouble mon chagrin,
J’apprends qu’Oudry, dont le pinceau divin
A des couleurs si véritables,
De ces différents animaux,
Que vous célébrez dans vos fables,
A fait les portraits les plus beaux.
Parmi ces chefs-d’œuvre nouveaux,
O comble de disgrâce !
Le petit écureuil ne tiendra point sa place;
C’est vous qui la causez, favori d’Apollon.
Oui, quand vous auriez dû, pour moi sans indulgence
Me comparer au singe et m’appeler larron,
Croqueur de noix et de marron,
Je serois moins fâché de cette médisance
Que d’un si dédaigneux silence.
Sans cet oubli, dans un double portrait,
Le monde eût admiré ma queue et ma figure.
Oudry, peintre de la nature,
M’eût d’après vous dessiné trait pour trait.
Cet écureuil nous peint une coquette.
Critiquez sa conduite : elle en fait peu de cas.
Pourvu qu’on vante ses appas,
Son âme vaine est satisfaite.
“Plainte de l’Ecureuil au génie de La Fontaine”