De tous les genres de littérature que j’ai cultivés pendant ma vie, la fable est celui auquel je songeais le moins. Un aimable vieillard, qui se plaisait à rassembler dans son salonles poètes et les littérateurs de son temps, M. Du-tramblay, me conseillait, il y a un quart de siècle, d’en essayer. C’était un arrière-petit-neveu de la Fontaine par les femmes, et il s’en était peut-être rapproché davantage par ses apologues. « Vous ne sauriez croire, me disait-il , le plaisir que ce travail procure. Il n’exige pas une grande tension d’esprit. Le début n’est pas loin de la fin. C’est un tout petit drame dont les incidents et les péripéties ne coûtent pas un grand effort d’imagination , et cela plaît aux lecteurs de tous les âges. Le maître l’a dit : « Les longs ouvrages me font peur; » et les lecteurs d’aujourd’hui en disent autant. On aime les livres qu’on peut quitter et reprendre sans avoir besoin de se rappeler ce qu’on a déjà lu, et sans trop se préoccuper de ce qu’on va lire. Faites des fables, vous m’en remercierez. » J’avais presque envie de lui répondre : « Vous êtes orfèvre, monsieur Josse; » mais il n’était pas possible de jeter à ce bon vieillard un mot qui pût blesser son extrême bonhomie.
Un autre de nos fabulistes me tenait à peu près le même langage. C’était M. Lebailly, dont les ouvrages ne méritent pas l’oubli dans lequel ils paraissent tomber. Une versification aisée, un rare talent d’observation, une grande simplicité de narration, de la finesse dans les détails, de la variété dans l’ensemble, devaient assurer aux fables de cet excellent homme une longue et honorable durée. J’ose dire, sans blesser aucune réputation vivante, qu’elles sont, après Florian, les plus dignes de passer à la postérité, si toutefois il y a maintenant une postérité pour quelqu’un. M. Lebailly traduisait le monde dans ses apologues sans y mettre beaucoup de malice. il me disait comme M. Dutramblay : « Faites des fables ; » et comme il méditait alors une collection des chefs-d’œuvre de tous les fabulistes morts ou vivants, il me priait bonnement de lui faire deux ou trois chefs-d’œuvre pour les insérer dans son recueil….
(extrait)
- Jean-Pons-Guillaume Viennet 1777 – 1868