A la cour d’un jeune lion,
Les singes seuls, avaient, dit-on,
Tous les emplois de la magistrature :
Avocats, procureurs, juges.. singes partout!…
Je l’ai lu dans Lokman, messieurs, je vous assure
Que je n’invente rien du tout ;
il doit répondre seul des choses qu’il avance.
Un jour, deux jeunes ours (on sait que cette engeance
N’a pas le caractère et l’esprit fort bien faits,
Qu’elle est chicaneuse à l’excès)
Eurent des démêlés, entrèrent en procès;
Probablement pour peu de chose.
D’abord les débats eurent lieu
Devant un sapajou, juge de paix du lieu,
Qui bien ou mal jugea la cause.
L’un gagna son procès, et l’autre, le vaincu,
Ne se tenant pas pour battu,
Se disait in petto : la bête scélérate,
Du juge, c’est certain, aura graissé la patte;
Mais ce n’est pas mon dernier mot :
Il faudrait être fou pour n’aller pas plus haut,
Et je ne voudrais pas céder pour un empire :
Il est bon, je crois, de vous dire
Que les singes avaient, à la cour du lion,
Tous nos degrés de juridiction.
Le perdant fit appel de la sentence ;
La cause fut plaidée au tribunal d’instance;
L’autre ours, en succombant, se plaignit à son tour:
« La sentence était déloyale… »
Il forma son pourvoi devant la cour royale.
Devant la cour il gagna son procès,
Sur tous les points eut le plus grand succès.
Le premier ours entra dans une rage extrême,
Et porta le débat devant la cour suprême.
L’affaire eut une fin et ce fut très heureux :
L’un perdit, je me trompe, ils perdirent tous deux ;
Tous deux avaient mangé leur patrimoine :
Ils s’étaient ruinés en frais.
L’un mourut de chagrin et l’autre se fit moine.
Mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès.
“Procès entre deux Ours”