Comme une coquette aguerrie
Aux dons de la nature ajoute ceux de l’art,
Ici met une fleur, là quelque peu de fard,
Couvre son sein de gaze ou bien de broderie,
Et semble ne devoir sa beauté qu’au hasard ;
Ainsi l’aimable allégorie
Aux attraits, aux charmes divers,
Qui forment son propre apanage,
Met coquettement dans ses vers
Tous les ornements du langage.
Ici la métaphore, écrin riche et nombreux
Dont tous les mots sous la main du poète
Diamants taillés à facette,
Eblouit nos regards par l’éclat de ses feux.
Heureux effet de l’art et du caprice
Là, c’est l’adroite allusion
Qui dans un beau récit de son invention
D’un séduisant mensonge employant l’artifice
Cache une vérité sous le masque propice
De la brillante fiction ;
Parfois c’est la satire au brillant badinage,
Dérobant son fouet, prenant un doux visage
Et décochant sa flèche avec un si grand art
Que l’homme atteint ne sait souvent d’où le coup part.
Parfois, c’est une comédie
Aux naïfs et simples ressorts,
Ou bien c’est une tragédie
Avec ses funèbres décors :
Tantôt à la verte campagne
Le fabuliste emprunte ses couleurs,
C’est un ruisseau descendant la montagne
Sur un tapis tout émaillé de fleurs ;
C’est un nombre infini d’acteurs
Tous différents de forme et de nature,
Qu’il met en scène avec art et mesure,
Qu’il fait agir, parler, pour nous rendre meilleurs.
Voilà pourquoi, sans doute, on nous dit que la fable
Renferme un fonds inépuisable
De morale et d’enseignement,
Que tout dans la nature humaine
Est du ressort de son domaine
Tout, la terre et le firmament !!!
Eh bien ! moi dans ces champs si vastes, si superbes
Qu’au sceptre de la fable un poète a conquis,
Où d’autres ont lié de si nombreuses gerbes,
J’ai peine à ramasser quelques maigres épis,
Des meilleurs de leurs grains déjà tout dégarnis
Et perdus dans de hautes herbes.
Envoi à mon ami M. Le Glai
Et cependant, pauvre glaneur,
Le dos voûté, la marche chancelante,
Je reviens dès l’aube naissante
Dans ces champs qui, pour moi, n’ont plus ni fruit, ni fleur ;
J’y reviens, et malgré que Phébus m’est contraire
J’y passe de ma vie une bonne moitié,
Tant est puissant sur moi le désir de vous plaire
Et le pouvoir de l’amitié
“Prologue “
Victor Delerue – 1793-1871