La voile au long du mât retombait mollement ;
Zéphyr dormait la rame était sans mouvement;
Dans un calme profond, sur un fleuve d’Afrique ,
Ma barque reposait au déclin d’un beau jour .
C’était quand le soleil, s’éloignant dû tropique ,
Dans les cieux embrasés signale son retour,
Quand lancés du zénith ses feux brûlent la terre.
Sous le poids accablant d’une lourde atmosphère,
Tout languissait au loin dans un morne repos.
Mais le soir souffle enfin d’une haleine légère,
Et ma barque docile a glissé sur les eaux.
La nature s’anime, et déjà les oiseaux
S’agitent avec le feuillage;
D’animaux altérés se peuple le rivage,
Et les poissons joyeux s’élancent sur les flots.
Déjà, de village en village,
J’entends battre les tambourins ;
J’entends les claquemens de mains
Animer la danse sauvage
Et les concerts des Africains.
La nuit mieux que le jour à leurs plaisirs se prête;
Les nuits sont en Afrique autant de jours de fête !
Je débarque au village, et l’hospitalité
M’accueille, me sourit d’un air plein de bonté.
Les filles, en chantant, se livrent à la danse;
Leurs mouvemens lascifs sont pleins de volupté ;
Souvent, s’ils choquent la décence ,
C’est moins par impudeur que par naïveté.
Éclairés d’un grand feu, les hommes, à côté,
Assis, couchés en rond, causent avec gaîté.
Celui-ci, faiseur de chronique,
Conte une anecdote d’amour;
L’autre fait de la politique
Et dit la nouvelle du jour.
L’un parle de chasse ou de guerre;
Le vieillard vante aux jeunes gens
Le temps passé, le bon vieux temps.
Le Marabout, d’un air austère,
Roulant son chapelet, fait valoir ses gris-gris ;
Il débite d’un saint la légende admirable;
Puis il entretient les esprits
Dans la sainte frayeur des sorciers et du diable .
Le voyageur, dans ses récits,
Mêlant, suivant un vieil usage,
Le mensonge à la vérité,
Abuse trop souvent de la crédulité.
Mais quel singulier personnage
Attire à lui tout seul la curiosité ?
Petit, bossu, mal fait, mal vêtu , son visage
Brille d’esprit et de gaîté;
Tout est vivant dans son langage:
L’auditoire avec lui charité,
s’émeut ou rit; La nature l’inspire, il plaît, on applaudit.
C’est l’Ésope Africain, c’est un conteur de fable .
Ainsi, dans tous pays, pour mieux charmer ses maux,
L’homme, à lui-même secourable
Vivant de fictions, courant après le faux ,
Inventa l’art charmant dont les heureux tableaux
Donnent aux vérités une parure aimable
Et la parole aux animaux.
Salut, Africain La Fontaine !
Sans te connaître encor je suis de tes amis ;
Vers toi, déjà, mon goût m’entraine;
Viens m’enseigner à mettre en scène Bêtes et gens de ton pays.
J’apprendrai leur langue et la tienne.
Tu me diras comment tu charmes les esprits,
Comment, pour instruire et pour plaire,
Tu fais agir le Singe où parler le Serpent,
Ou regimber le Dromadaire ,
Ou chanter la Gazelle ou danser l’Éléphant.
Moi, je t’illustrerai jusque dans notre Europe.
Quel est ton nom?— Demba. — Demba ! dans mes écrits;
Ton nom sera placé près de celui d’Ésope !
Si tes fables, si mes récits
Peuvent nous sauver des abîmes
Et du bourbier de l’Hélicon,
C’est par toi que vivront mes rimes ;
Mes vers reconnaissans protégeront ton nom.
“Prologue des fables Sénégalaises”