Pierre-Ange Vieillard de Boismartin
Poète, littérateur et fabuliste XVIIIº – Psaphon et les corbeaux, ou les sifflets de l’apothéose
Mutato nomine…….
Dans mon printemps, j’ai lu certaine histoire
Vraiment étrange, et difficile à croire ,
Dont tous les traits ont couleur de roman ;
La date en est de je ne sais quel an :
Sur le récit que je vais vous en faire ,
Vous jugerez, au reste , de l’affaire.
Jadis était, au pays Lybien ,
Jeune homme honnête, et vivant de son bien,
Nommé Psaphon ; fils d’un très-digne père,
Marchand loyal, et ci-devant corsaire,
Puis , sur sa fin, revêtu de l’emploi
Nommé, dès lors, secrétaire du Roi.
Purifié jusqu’en son origine ,
Par la vertu de l’antique savon
Qui, d’un vilain , faisait un beau garçon ,
Sans qu’il en eût, au fond, meilleure mine,
On le conçoit aisément, le Psaphon
S’estimait plus que de race divine.
D’un marquisat, le meilleur du canton ,
Il fit emplette, et se crut du grand ton.
La vanité le berçant de doux songes,
Le promenant, par de riants sentiers,
Tout à travers, le pays des mensonges ,
Lui répétait que , de seize quartiers,
Il n’est besoin , pour avoir de noblesse
Tant qu’il en faut, quand on a de l’espèce ;
Que, de l’état, si ses chers devanciers,
De leur vivant, ne furent les premiers ,
A tout, leur fils avait droit de prétendre ;
« Le Roi, de moi, pourrait faire son gendre
» Sans déroger : son nom est plus ancien ,
» Se disait-il, mais mon or vaut le sien.
» Je veux primer , je veux que l’on me cite :
» J’ai de l’argent, partant, j’ai du mérite.
» La cour m’appelle ; au Parnasse, je croi,
» Depuis longtemps, on a besoin de moi ;
» Allons briller à la cour, au Parnasse ,
» Et que la gloire y couronne l’audace ».
De cette sorte ayant réglé son plan,
L’auteur novice , apprenti courtisan,
D’un financier, en cour, porta les grâces,
Et, dans les lieux, où , plus que le pouvoir.
Le talent règle, et les rangs et les places
D’un financier il porta le savoir.
Quand, à la cour, il montrait sa figure,
Lorsqu’au Parnasse, il lâchait un ballot,
Chez les rieurs charmés de l’aventure,
Chorus n’était que : Psaphon est un sot.
La vanité , nous dit-on , n’y voit goûte ;
C’est mon avis ; mais, aveugle en effet,
Elle n’est pas sourde aux coups de sifflet :
Il fallut bien enfin , coûte qui coûte ,
Se dire un jour que ce bruit véhément
Du vœu public était e truchement ;
Grand désarroi, pour qui vise à la gloire !
Mais voici bien le pire de l’histoire :
Contre Psaphon, le concert en plein vent
Fit telle fête au fluide élément
Où les oiseaux agitent leur nageoire,
Que, de là-haut, les savants emplumés
De ses revers furent tous informés.
Ce n’est pas tout : la cohorte criarde
Des noirs corbeaux , de scandale avant-garde ,
Race de qui les affreux appétits
De sang, de mort veulent être assouvis,
Et, dont le bec, aussi bien que la serre,
Comme aux défunts , aux vivants fait la guerre ,
Race odieuse à Phébus, à Cypris,
Les corbeaux donc des régions hautaines,
Ayant ouï les clameurs inhumaines
Qui, sur sa route , accompagnaient Psaphon,
Firent chorus, et dans tout le canton,
A droite, à gauche, en l’air, comme sur terre,
De jour, de nuit, qu’il fit grêle ou tonnerre ,
C’était à qui redirait le plus haut :
Psaphon, Psaphon est un sot, est un sot !
De ses pareils essuyer les injures ,
Se voir par eux aux sifflets immolé,
C’est grand tourment, et peine des plus dures !
Mais être encor tympanisé, sifflé
Par des Corbeaux !… Outre toutes mesures
C’est du destin éprouver les rigueurs,
Et les affronts mortels pour les grands cœurs.
Aussi, Psaphon pendit au clou sa lyre,
Cessa d’aller en cour, comme d’écrire,
Et se tenant clos et couvert, chez lui,
Tout à loisir, dévorait son ennui.
Qu’en avînt-il ?.. Les humains l’oublièrent,
Ne le voyant, d’autre chose ils parlèrent ;
Mais, des Corbeaux le cortège maudit
Du sobriquet souvenir ne perdit,
Et si, pour voir le jour tomber ou naître ,
Psaphon mettait le nez à la fenêtre,
Le nom de sot, âme de leurs concerts ,
De bec en bec, voltigeant dans les airs,
Renouvelait les cuisantes blessures
Qu’au malheureux avaient fait cent morsures.
Armé d’un arc, et dès l’aube à l’affût,
Il abattit des Corbeaux tant qu’il put :
Peine perdue, hélas ! soin inutile !
Pour un de moins, il en revenait mille,
Qui, tous entr’eux se faisant la leçon,
Même enfilés, redisaient leur chanson.
Désespéré , las de joncher la terre
Des corps sanglants de ces méchants railleurs,
Que le trépas à peine faisait taire,
Psaphon allait terminer ses malheurs
Quand tout à coup, comme un trait de lumière,
A son esprit, vint s’offrir le moyen
De clore bec à la gent carnassière ;
Il n’avait pas au moins mangé son bien,
Si, qu’à l’instant, de toute sa desserte
Il établit, aux Corbeaux, table ouverte
Corbeaux ont faim, corbeaux mangent beaucoup.
Et très-long-temps : décisif fut le coup :
Sur le banquet, la cohorte endiablée,
Du haut des airs, fond tout d’une volée.
De sot, d’abord, à son nez, fut traité
L’Amphitryon : il s’en était douté ;
Mais chaque fois que l’aimable épithète
Reparaissait, les mets faisaient retraite.
De son vivant, il obtint des statues :
Après sa mort, en dépit des railleurs,
On lui dressa des autels dans les rues ;
Il eut un temple et des adorateurs.
Or, maintenant, dénigrez cette histoire,
Ou croyez-y, si vous voulez y croire ;
Elle a du vrai, qui le sera toujours ;
Vous le savez, chers Psaphons de nos jours :
Au procédé que retrace ma glose,
Git le secret de mainte apothéose,
Et les Corbeaux, en tout temps, en tout lieu,
Dînant chez lui, d’un sot ont fait un dieu.
Pierre-Ange Vieillard de Boismartin