Un petit satyre adorait
Le matin Galatée et le soir la Fortune.
Habile trompeur, il jurait
D’égorger cent moutons à l’une
Si son coffre s’emplissait d’or ;
Immolant quelque tourterelle
A l’autre, il lui jurait d’être toujours fidèle,
Jusqu’au jour où son âme irait au sombre bord
Où coule l’Achéron. Et mortelle et déesse,
Se croyant sans rivale, au satyre trompeur
Prodiguait sans compter quelque douce faveur :
L’une, maint écu d’or ; l’autre, mainte caresse,
La Fortune un matin descendant de son char,
Près d’une fontaine limpide
Aperçut, dit-on, par hasard
La blanche Galatée et son amant perfide.
Ne se souvenant déjà plus
De ses serments jurés la veille,
L’amant parjure, aux pieds fourchus,
Pressait une grappe vermeille
Dans une coupe d’or que tenait à la main
Cette éblouissante rivale,
A l’épaule d’ivoire, au sourire divin,
Que sa beauté faisait l’égale
Et la sœur des divinités.
Regardant ses traits détestés
D’un œil haineux comme l’envie :
— Tu pourrais, lui dit-elle, expier de ta vie,
Ô fille des mortels, ce fait audacieux
D’écouter un amant dont je suis la maîtresse,
Si je ne craignais pas de courroucer les dieux.
— Passez votre chemin, Madame la déesse,
Dit Galatée en se levant :
Cet amant est le mien ! sachez-le. Que le vent
Emporte toutes vos paroles,
Car vos prétentions sont folles.
De quel droit réclamer mon bien ?
Mon amant est à vous ! chansons ! je n’en crois rien.
À cette parole ironique,
La Fortune ouvre sa tunique,
Et jette en fuyant sur le pré
Un portrait de son adoré
A son col délicat pendu par une chaîne,
La bergère le prit ; puis, pâle de courroux,
En le jetant dans la fontaine
Elle dit au perfide : Il n’est plus entre nous
D’amour ; aime une autre maîtresse.
On sait ce que sont tes serments.
Le ciel, toujours propice aux fidèles amants,
Punira ta scélératesse.
Si tu me vois dans ton chemin,
Détourne les yeux ; que ma main
Ne touche plus ta main ni ta lèvre abhorrée.
Tu n’es qu’un lâche cœur : tu t’es deux fois donné.
Alors l’amant abandonné
Partit en gémissant vers la forêt sacrée
Où, sous l’ombre des grands sapins,
Régnait l’autel de la Fortune.
Ô surprise ! ô douleur ! la lune
De sa lampe nocturne aux reflets incertains
Éclairait de vastes ruines : Frappé par les fureurs divines,
L’autel entier gisait pierre à pierre écroulé,
Et, fuyant ce lieu désolé,
Le satyre, perdant à la fois deux maîtresses,
Raconta, l’âme en proie à d’amères tristesses,
Son malheur aux échos des bois.
On ne peut pas aimer deux femmes à la fois.
“Un Infidèle”