Antoine Alfred Désiré Carteret
Un bouquiniste, en un autre quartier,
Transférait ses amas de docte marchandise.
La hotte sur le dos, en manches de chemise,
Allant et revenant, un actif journalier
Etait la cheville ouvrière
De cette poussiéreuse affaire.
Comme dans l’air régnait une grande chaleur
Il s’assit pour souffler à l’un de ses voyages,
Sur une place aux frais ombrages.
Il prit un in-quarto d’un vénérable auteur
Dans la hotte à ses pieds posée.
De besicles de cuivre il se chargea le nez ;
Puis furent dix feuillets, sous son pouce, tournés,
Tant cette prose eut chance alors d’être prisée.
Il trouvait tout intéressant et beau,
Etant très-peu blasé du côté du cerveau.
Ce n’est pas que de lire il n’eût souvent envie,
Mais où trouver du temps dans sa pénible vie ?
Il allait reposer le tome par devoir,
Quand un long escogriffe à traînante dégaine,
En bâillant devant lui, se fit apercevoir.
C’était un sans-souci qui, rebelle à la peine,
Ménageait sa cervelle autant que ses jarrets ;
Et qui se prélassait moitié de la semaine,
La pipe entre les dents et les mains aux goussets.
« Aux études, » dit-il, « voilà que tu te livres !
« Ah ! t’as bonne façon à faire le savant !
« Tu ne seras jamais, en guignant dans les livres,
« Rien que Simon la bête, après tout comme avant.
« T’es fait pour les porter, mon vieux, pas pour les lire. »
Simon lui répondit avec un fin sourire :
« Des ânes connais-tu le roi ?
« — Vas-tu pas dire que c’est moi ?
« —Allons, Michel, comment veux-tu que j’ose,
« A bout portant te lâcher ça ?
« Mais l’ignorant, vois-tu, pour sûr est ce roi-là,
« S’il ne cherche jamais à savoir quelque chose. »
“Une Lecture”