Emmanuel Justin Barthélémy, théologien et écrivain, appelé parfois Barthélemy de Beauregard, du nom du lieu de sa naissance en 1803 et décédé en 18??.
Justin Barthélemy de Beauregard, fut un temps vicaire à l’église de La Trinité de Paris.
Fables :
- La Cigale et la Fourmi
- Le Corbeau et le Renard
- Le Loup et le Chien
- Le Loup et l’Agneau
- La Mort et la jeune Fille
- Le Loup plaidant contre le Renard par …
- La Chienne et sa Compagne
- La Chauve-Souris et les deux Belettes
- L’Aigle et l’Escarbot
- Le Lion et l’Âne chassant
- Le Lièvre et les Grenouilles
- Le Loup devenu Berger
- Le Loup et la Cigogne
Avant-propos :
Il y a deux hommes dans La Fontaine : le poète ou l’écrivain, et le moraliste. Le premier est admirable, et personne ne l’admire plus que moi; les plus habiles ne feront jamais qu’en approcher : c’est la perfection du genre : quel entrain! quelle verve! quelle simplicité, et cependant quelle élévation! quelle finesse et quelle naïveté ! quel abandon et en même temps quelle concision et quelle énergie ! Il est original jusque dans l’imitation, et chacune de ses pages ports le sceau du génie.
Mais a-t-il la même perfection comme moraliste? Ses nombreux apologues ne ressemblent-ils pas souvent à de beaux arbres qui porteraient des fruits gâtés ? A moins d’invoquer l’étrange théorie de l’art pour l’art, fausse et répréhensible dans tous les genres, mais qui serait surtout détestable dans l’espèce, n’est-il pas regrettable qu’un si grand génie n’ait pas toujours joint au culte du beau celui du vrai et du bon, qu’on ne devrait jamais séparer?
Il n’est pas une seule fable de La Fontaine qui puisse faire penser qu’il ait jamais lu l’Évangile, et, de fait, jusqu’à la fin de sa vie, il ne l’avait pas lu, quand, durant le cours de sa dernière maladie, son confesseur s’avisa de lui mettre sous les yeux le livre divin. Pressé de dire ce qu’il en pensait, il répondit, avec son indifférence ordinaire, que c’était un beau livre. Comme le prêtre s’échauffait sur ce point et s’efforçait de le faire sortir de son apathie, la bonne lui cria : «Laissez-le, Monsieur l’abbé, il est trop b.. pour que le bon Dieu le damne. » En l’étudiant au point de vue moral et le trouvant si peu chrétien, je me disais : C’est sans doute l’effet de son éducation, qui a été toute païenne, comme l’était alors toute éducation littéraire.

…Ceci m’a conduit à une autre explication. En voyant les malices de La Fontaine, son ton goguenard, l’approbation au moins tacite qu’il donne à la ruse, à la fourberie, à l’ingratitude, à la violence et à la brutalité de ses personnages, une chose étonne, c’est le surnom de bon, de bonhomme, que lui ont donné ses lecteurs, et qui lui est resté. Si l’on eût dit : L’original, le fin, le spirituel, le comique La Fontaine, cela se comprendrait ; mais le bon La Fontaine ! J’avoue que, de prime abord, je n’y comprenais rien. Cependant, en y réfléchissant un peu, je crois avoir deviné le mot de l’énigme. Le monde, trouvant dans le célèbre fabuliste un moraliste commode, point sévère, dont on peut suivre les leçons sans se faire violence, parce que ses préceptes n’obligent pas à grand’chose, le monde, dis-je, lui en a su gré; il l’a appelé bon et lui a été reconnaissant parce qu’il n’a pas contrarié ses instincts. D’autres, au contraire, l’ont trouvé tellement païen dans ses fables, ils y ont vu tant d’attaques contre les grands et la royauté, et un tel esprit d’indépendance, qu’ils ont longuement prouvé, par ses écrits, la part qu’il a eue dans la révolution. Malgré tout, je craignais que mon caractère et mes études ne m’eussent rendu trop sévère, et, bien que tenté de donner une suite à certaines pièces du grand fabuliste, pour en faire découler une morale plus pure, j’hésitais encore, quand le livre de M. Taine m’est tombé entre les mains, et a fait cesser tous mes scrupules. Ce n’est pas que j’approuve tous les principes de ce livre ; mais il renferme des observations très-justes. Quand M. Taine dit que La Fontaine n’est pas moral, il est d’autant moins suspect que c’est de sa part la simple constatation d’un fait, et non le blâme d’un esprit morose trouvant que le célèbre fabuliste aurait dû et pu faire un meilleur usage de son talent.
« Il est difficile à un homme si gai, dit l’auteur de La Fontaine et ses fables en question, d’être un vrai précepteur de mœurs.
La sévérité n’est pas sa disposition ordinaire ; il ne fera pas de l’indignation son accent habituel. Tâchez de n’être point sot, de connaître la vie, de n’être point dupe d’autrui et de vous-même; voilà, je crois, l’abrégé de ses conseils. Il ne nous propose point de règle bien stricte ni de but bien haut. Il vous donne le spectacle du monde réel, sans souhaiter ni louer un monde meilleur. Il montre les faibles opprimés, sans leur laisser espoir de secours ni de vengeance.
Il reconnaît que Jupiter « a mis deux tables au monde ; que l’adroit, le fort, le vigilant, sont assis à la première, et que les petits mangent leurs restes à la seconde. » Bien plus, souvent les petits servent de festin aux autres. Au reste, peu importe « qui vous mange, homme ou loup ; toute panse lui paraît une à cet égard ; » il est résigné, sait ce que vaut le roi lion, quelles sont les vertus « des courtisans, mangeurs de gens, » mais croit que les choses iront toujours de même, et qu’il faut s’y accommoder. Telle qu’elle est, la vie est « passable. » « Mieux vaut souffrir que mourir, c’est la devise des hommes. » Cette morale-là est bien gauloise « Nous reconnaissons que notre ennemi, c’est notre maître; » nous nous moquons de lui, et, l’amour- propre ainsi satisfait, nous nous laissons docilement conduire. Nous acceptons « les faits accomplis ; » nous finissons même par admirer le succès et rire des gens battus, surtout quand le bâton a été
promené sur leurs reins avec adresse. La Fontaine, le plus souvent, s’égaye de leur mésaventure. Son chien fait des raisonnements exacts ; « mais n’étant qu’un simple chien, » on trouve qu’ils ne valent rien, « et l’on sangle le pauvre drille. » Notre Champenois souffre très-bien que les moutons soient mangés par les loups, et que les sots soient dupés par les fripons : son renard a le beau rôle. Jean-Jacques disait fort justement qu’il prend souvent pour héros les bêtes de proie, et qu’en faisant rire aux dépens du vol, il fait admirer le voleur. Aussi ses maximes n’ont-elles rien d’héroïque. Il conseille assez crûment la flatterie, et la flatterie basse. Le cerf met au rang des dieux la reine qui avait jadis « étranglé sa femme et son fils, » et la célèbre en poète officiel. La Fontaine approuve la perfidie, et, quand le tour est profitable ou bien joué, il oublie que c’est un guet-apens. Il représente un sage, qui, poursuivi par un fou, le flatte de belles paroles menteuses, et tout doucement « le fait échiner et assommer ; » il trouve l’invention bonne et nous conseille de la pratiquer. Enfin, chose admirable! il loue la trahison politique : « Le sage dit, selon les gens, vive le roi ! vive la Ligue !»
« Amusons-nous, » c’est là, ce semble, son grand précepte. Il ne faut pas trop entasser, trop prévoir ni pourvoir, mais jouir. « Hâte-toi, mon ami, tu n’as pas tant à vivre : jouis, » et dès aujourd’hui même ; n’attends pas à demain, la mort peut te prendre en route. Ce conseil-là vient si bien du cœur que La Fontaine l’homme insouciant, indifférent, s’indigne sérieusement contre le convoiteux et l’avare. Il prêche le plaisir avec autant de zèle que d’autres la vertu. Il veut qu’on suive « ses leçons, » qu’on mette à profit cette vie éphémère. Il loue Épicure; il parle de la mort en païen ; il voudrait, comme Lucrèce, « qu’on sortît de la vie ainsi que d’un banquet, » en remerciant son hôte. Il ne semble pas songer qu’il y ait quelque chose au-delà de la vie et du plaisir ; il demande seulement que ce plaisir soit fin, mêlé de philosophie et de tendresses… Il loue la paresse et le somme; « ajoutez-y quelque petite dose d’amour honnête, et puis le voilà fort.»
… Voilà une longue citation pour un avant-propos; mais j’ai voulu laisser un auteur, qui n’est pas suspect, dire toute sa pensée sur le côté moral de La Fontaine. Tombées de ma plume, ces vérités auraient pu être mal reçues; j’espère qu’elles trouveront un accueil plus favorable , venant d’un homme qui se pique de n’être pas chrétien. Le résumé de ce qui précède est que, licencieux dans ses Contes, La Fontaine n’est pas moral dans ses fables; quelle qu’en soit la cause, il suffit, pour s’en convaincre, de le lire avec quelque attention. Or, on ne met pas ses Contes entre les mains de la jeunesse, et l’on fait bien ; mais,’ on y met ses fables ; on les fait apprendre aux enfants, afin de leur former le cœur et l’esprit, et l’on a tort : le style souvent, par ses archaïsmes, n’est pas à leur portée, et les ennuie si bien qu’ils ne lisent pas ces chefs-d’œuvre à l’âge où ils pourraient les lire avec autant de fruit que d’agrément. Quant à la morale, s’ils la mettaient en pratique, elle en ferait de bien petits saints, quand elle n’en ferait pas de fort mauvais sujets. Mais, quoi qu’on dise et qu’on fasse, on fera toujours apprendre les fables de La Fontaine; Telle est la force de la mode ou de la coutume que tout père, même catholique, se fera toujours un devoir de les mettre entre les mains de ses enfants, sans bien se rendre compte de l’effet qu’elles peuvent produire.
Les choses étant ainsi, je me suis demandé s’il ne serait pas possible de corriger ce que certaines pièces du célèbre fabuliste ont de défectueux sous le rapport moral, en continuant le drame avec les mêmes personnages, et en amenant ainsi un autre dénouement.
Je l’ai tenté pour quelques-unes des plus connues, et cette fois encore, si j’en croyais l’amitié, j’aurais heureusement atteint le but que je me suis proposé; mais je dois plus que jamais attendre le verdict du grand juge. Voici comment j’ai procédé :
Je résume la fable de La Fontaine, dont le fond est souvent dans Ésope et dans Phèdre, et je continue l’action commencée, ou, si l’on veut, j’en greffe une autre sur la première, mais de telle manière que le crime ou le vice est toujours puni et là vertu récompensée. Puis-je espérer que quelques-unes de mes fables seront apprises comme faisant suite à celles de La Fontaine ?
- Greffes Morales sur La Fontaine par Barthélemy de Beauregard – Paris 1865.