- Charles Athanase, baron Walckenaer, né le 25 décembre 1771 à Paris et mort le 26 avril 1852 à Paris, est un naturaliste français.
Dissertation sur les Contes de Fées – attribués à Perrault et sur les origines de la Féerie
– Par le Baron Walckenaer, membre de l’Institut.
Dissertation sur les Contes de Fées . (extraits 1) 1ere. partie – 2eme. partie – 3eme. partie
Je me propose d’établir dans cette dissertation que les Contes de fées attribués à Perrault ne sont pas de son invention; qu’il n’a fait, en les composant,, que rédiger des récits transmis par la tradition, qui servaient, de son temps, dans la bouche des nourrices ou des bonnes, à amuser les enfants. Je démontrerai aussi que le merveilleux, sur lequel l’intérêt principal de ces contes se trouve fondé, est bien plus ancien que le siècle où Perrault a vécu ; qu’il a pris naissance en Bretagne ; et je tacherai d’établir l’époque probable de l’invention de ces contes.
Perrault, à l’Age de cinquante ans, se retira des affaires pour ne plus s’occuper que d’ouvrages de littérature, et surtout de l’éducation de ses enfants. Ce fut âgé de soixante-trois ans qu’il publia une nouvelle en vers Intitulés) là Marquise de Salusses, ou la patience de Griselidis. Elle parut à Paris en 1691, chez Jean-Baptiste Coignard. L’auteur en avait fait une lecture dans une des séances publiques de l’Académie française, et, à ce titre, elle fût imprimée dans le volume que celte compagnie publiait alors tous les ans.
Nous apprenons, par la lettre qui est à la suite de ce petit poème, que cette charmante historiette de Boccace avait déjà été mise en prose française , imprimée pour le peuple, et vendue avec la petite couverture de papier bleu pâle qui est en quelque sorte de rigueur pour les livrets populaires, ce qui a fait donner à la collection de ces sortes d’ouvrages le surnom de Bibliothèque bleue.
« Si je m’étais rendu, dit Perrault dans cette lettre, à tous les différents avis qui m’ont été donnés sur l’ouvrage que je vous envoie, il n’y serait rien demeuré que le conte tout nu et tout uni, et, en ce cas, j’aurais mieux fait de n’y pas toucher, et de le laisser dans son papier bleu, où il est depuis si longtemps. »
Plus loin l’auteur dit encore : « Vous vous étonnez peut-être de ce que je donne le nom de Griselde à la marquise de Salusses, et non pas celui de Griselidis, connu de tout le monde, et si connu, que la patience de Griselidis est passée en proverbe. Je vous dirai que je me suis conformé en cela à Boccace, le premier auteur de cette nouvelle ; que le nom de Griselidis m’a paru s’être un peu sali dans les mains du peuple ; et que d’ailleurs celui de Griseide est plus facile à employer dans la poésie .»
Griselidis eut du succès ; et l’auteur en publia, en 1694, une seconde édition, avec le conte de Peau d’âne, et celui des Souhaits ridicules. L’histoire de la composition de Griselidis se lie à celle des contes de fées ; car les deux derniers contes du recueil sont bien de cette nature ; ils sont tous deux en vers comme Griselidis. Peau d’âne est dédié à Mme. la marquise de L***. Le préambule de ce conte montre combien Perrault, à l’âge de soixante-six ans, aimait à s’amuser de ces fictions.
IL est des gens de qui l’esprit guindé,
Sons un front jamais déridé,
Ne soutire, n’approuve et n’estime
Que le pompeux et le sublime :
Pour moi, J’ose poser en fait
Qu’en de certains moments l’esprit le plus parfait
Peut aimer sans rougir jusqu’aux marionnettes,
Et qu’il est des temps et des lieux
Où le grave et le sérieux
Ne valent pas d’agréables sornettes.
Pourquoi faut-il s’émerveiller
Que la raison la mieux sensée,
Lasse souvent de trop veiller.
Par des contes d’ogre et de fée
Ingénieusement bercée
Prenne plaisir à sommeiller ?
Sans craindre que l’on me condamne
De mal employer mon loisir,
Je vais, pour contenter votre juste désir
Vous conter tout au long l’histoire de peau d’âne.
Comme le conte de Peau d’âne est, dit-on, un des chefs-d’œuvre du genre, un des mieux inventés, un des plus variés pour les événements, il, est important de démontrer que Perrault n’en est pas l’auteur primitif, qu’il n’a fait que le mettre en vers, comme celui de Griselidis.
La guerre littéraire que Perrault avait allumée dans le sein de l’Académie, par la lecture de son poème sur le siècle de Louis XIV, le détermina à composer son ouvrage intitulé Parallèle des anciens et des modernes. Le second volume de cet ouvrage avait paru dés l’an 1689, et la seconde édition porte la date de 1693, c’est-à-dire qu’elle est antérieure d’un an à la première édition du conte de Peau d’âne. Perrault a, dans son Parallèle, adopté la forme du dialogue. Dans un endroit de cet ouvrage, le partisan des anciens y exalte les Fables milésiennes. Le partisan des modernes lui répond : « Les fables milésiennes sont si puériles, que c’est leur faire assez d’honneur que de leur opposer nos contes de Peau d’âne et de Mère l’oye. Le cardinal de Retz, dans ses Mémoires, et plusieurs auteurs de ce temps font souvent allusion au conte de Peau d’âne. Boileau, dans la dissertation sur le conte de Joconde, imprimée pour la première fois en 1669, c’est-à-dire plus de trente ans avant les contes de Perrault, s’exprime ainsi : « Qu’aurait-on dit de Virgile, bon Dieu ! si à la descente d’Énée dans l’Italie, il lui avait fait conter par un hôtelier l’histoire de Peau d’âne, et des contes de ma Mère l’oye?» Cette plaisante idée de Boileau ne lui appartient pas, et bien avant qu’il eût écrit sa dissertation, Scarron, ce grand-maître du burlesque, dans le livre II de son Virgile travesti, parlant d’Astianax et d’Hécube, avait dit :
Et cette bonne mère grand, Quand il devint un peu plus grand, Faisait avec lui la badine, L’entretenait de Mélusine, De Peau d’âne et de Fier-à-Bras, Et de cent autres vieux fatras.
Molière, dans son Malade imaginaire, représenté en 1673, fait dire à Louison, acte II, scène I : « Je vous raconterai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de Peau d’Ane. » La Porte, dans ses Mémoires, dit qu’en 1645, Louis XIY, enfant, mais déjà passé dans les mains des hommes, ne pouvait s’endormir, parce qu’on ne lui contait plus des contes de Peau d’âne, ainsi que les femmes qui le gardai en avaient coutume de le faire. On voit bien, par ces passages, que le conte de Peau d’âne et les contes de la Mère l’oye étaient aussi connus du peuple que Griseledis avant que Perrault s’avisât de les habiller à sa façon, en vers et en prose. Ceci rectifie déjà une erreur presque universelle relativement à ces vers de La Fontaine:
Et moi-même qui fais cette moralité:
Si Peau d’âne m’était conté,
J’y prendrai un malin plaisir extrême.
On a cru généralement que ces vers faisaient allusion au conte de Perrault, intitulé Peau d’âne. Quelques commentateurs ont même été charmés de faire preuve à ce sujet de leur sagacité, en faisant ressortir dans ce passage un trait malin et épigrammatique dirigé, selon eux, par le bonhomme contre le détracteur et l’antagoniste des chefs-d’œuvre de l’antiquité. La vérité est que la fable IV du livre VIII, dans laquelle se trouvent ces vers de La Fontaine, parut dans son second recueil en 1678, et que notre fabuliste ne pouvait alors deviner que Perrault publierait, seize ans après, le conte de Peau d’âne. Il faut donc en conclure que ce conte de Peau d’âne était connu, était populaire, lorsque La Fontaine écrivit sa fable, et que, bien loin que notre fabuliste fasse allusion au conte versifié par Perrault, ce sont ces vers même qui paraissent avoir donné à Perrault l’idée de versifier le conte, et de le publier, dans l’espérance que tout le monde penserait comme le bonhomme, et prendrait un plaisir extrême à le lire.
Quelque décisives que paraissent ces preuves, on pourrait faire une objection tirée des Contes ou joyeux Devis de Bonaventure Desperiers. La cent trentième nouvelle de ce recueil porte ce titre : D’une jeune fille surnommée Peau d’âne, et comment elle fut mariée par le moyen que lui donnèrent les fourmis. Voici quel est ce conte en substance : un gentilhomme devint amoureux de la fille d’un marchand, surnommée Pernette, et s’en fit aimer. Le père et la mère ne voulaient pas ce mariage, mais n’osaient refuser leur consentement. Ils imaginèrent de ne donner ce consentement qu’au moyen de conditions impossibles à remplir, et ils exigèrent que leur fille, si elle voulait épouser son amant, ne vêtit d’autre habit qu’une peau d’âne : elle se conforma à cette condition. Ils voulurent ensuite qu’elle levât grain à grain avec sa langue un boisseau d’orge qu’à cette fin ils feraient répandre par terre : elle dit qu’elle y consentait, et se rendit sur les lieux. Des fourmis s’y rendirent aussi, et enlevèrent, sans être vues, tous les grains d’orge, de sorte que la place parut avoir été faite vide par Pernette. « Par ce moyen Pernette fut mariée à son amy, duquel elle fut caressée et aimée comme elle l’avait bien mérité. Vray, est que, tant qu’elle vesquit, le sobriquet de Peau d’âne lui demeura.»
Voodrait-on prétendra que Scarron, dans son Virgile travesti, Boileau dans sa dissertation, Molière dans sa comédie, La Fontaine dans sa fable, et Perrault dans son Parallèle des anciens et des modernes, ont également en en rue, dans les passages que j’ai rapportes, le conte de Bonaventure Desperiers, mais que le conte publié par Perrault sous le menus titre de Peau d’âne, en 1684, étant différent, rien ne prouve qu’il était connu avant lui, et qu’on doit par conséquent le considérer comme étant de son invention ?
Cette supposition serait bien invraisemblable. Le conte de Desperiers tient au plus sept ou huit pages. Il est emprunté du livre VI d’Apulée, dans sa fable de Psyché. Ce conte est si pauvre d’invention et si peu intéressant, qu’il est bien difficile de croire qu’il ait jamais été assez populaire pour qu’on pût en parler comme d’une chose universellement connue; et s’il n’avait existé un autre conte portant spécialement et uniquement le titre de Peau d’âne, plus varié, plus amusant que celui de Desperiers, La Fontaine aurait-il osé dire :
Si Peau d’âne m’était conté,
J’y prendrai un malin plaisir extrême. Mais, de plus, aussitôt que le conte de Peau d’âne mis en vers par Perrault eut paru avec Griselidis, un anonyme en fit une critique détaillée qui fut imprimée dans le Recueil de pièces curieuses et nouvelles, tant en prose qu’en vers, que publiait à La Haye Adrian Moetjens. Cette critique est intitulée heure de monsieur de** à mademoiselle sur les pièces de Griselidis et de Peau d’âne, de M. Perrault, t. II, p. 21 à 105 du recueil. Ce tome II parut en 1694, et la seconde lettre de cette critique est datée du 28 mai 1694. Ainsi le conte de Perrault ne faisait que de paraître lorsque la critique fut imprimée ; tant le beau monde d’alors mettait d’intérêt à ces futiles compositions. L’auteur de cette critique blâme Perrault de ne pas nous avoir tracé un portrait de l’héroïne de son conte ; surtout de ne nous avoir pas expliqué nettement comment s’opérait son déguisement sous son hi deux accoutrement, et il ajoute à ce sujet la réflexion suivante :
« Quand les nourrices content Peau d’âne aux petits enfants, ils n’y regardent pas de si près : tout passe à la faveur de l’admiration et de l’étonnement on les mettent toutes les choses extraordinaires; mais notre auteur a au prévoir que Peau d’âne contée en beaux vers trouverait des lecteurs qui demanderaient de la justesse et de l’exactitude dans son conte, comme de la raison et de la rime dans sa poésie. »
Le critique refait ensuite le conte de Peau d’âne à sa manière, pour le rendre plus clair et plus vraisemblable ; puis, s’applaudissant de ses inventions, et les comparant au conte tel qu’il est dans Perrault, il dit encore :
« Il pourrait bien être que c’est de cette sorte que la fable se débitait et se rendait intelligible dans son origine ; mais comme elle est fort vieille, et que la tradition en a passé au travers de plusieurs siècles par les mains d’un peuple fort imbécile de nourrices et de petits enfants, il n’y aurait rien de surprenant que le tout manquât aujourd’hui de quelques-unes de ses principales circonstances, capables de donner de la lumière à tout le reste. Mais il y avait lieu d’attendre qu’un auteur aussi ingénieux que le nôtre répandrait un peu de son bon esprit sur la fable, et ne la conterait pas au public tout à fait aussi obscure et aussi confuse que sa nourrice la lui avait contée à lui-même autrefois pour l’endormir. »
Il est donc bien démontré que Perrault n’a fait que mettre en vers le conte de Peau d’âne, tel que les nourrices le contaient de son temps aux petits enfants, sans y rien ajouter, sans y rien changer
- Dissertation sur les Contes de Fées” “Baron WALCKENAER.