- Charles Athanase, baron Walckenaer, né le 25 décembre 1771 à Paris et mort le 26 avril 1852 à Paris, est un naturaliste français.
Dissertation sur les Contes de Fées – attribués à Perrault et sur les origines de la Féerie
– Par le Baron Walckenaer, membre de l’Institut.
Dissertation sur les Contes de Fées . (extraits 3) 1ere. partie – 2eme. partie – 3eme. partie
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Les contes de nourrices que Perrault a mis par écrit sont bien certainement de la nature de ceux que composaient les bardes ambulants, contre lesquels Taliesin fulmine, et dont les succès, on le voit, excitaient sa jalousie et sa colère ; mais si les Contes de ma Mère Voye tiraient leur origine du Mabinogion des Armoricains ou des Gallois, ils auraient aussi douze cents ans d’antiquité ; car il est démontré que Taliesin a écrit dans le sixième siècle. Pourtant il est plusieurs de ces contes qui ne peuvent avoir été inventés, sous la forme oû nous les voyons, qu’entre les neuvième et treizième siècles.
Ma raison pour ne pas reculer davantage l’ancienneté de nos contes de fées, est que quelques-uns sont fondés sur un genre de merveilleux étranger à la croyance aux fées et aux dogmes de l’Edda, qui ne vient ni des Grecs, ni des Romains, ni des Scandinaves, ni des Normands, ni des Gallois, ni des Bretons ; qui n’a rien à démêler avec les erreurs du mahométisme, ou avec les vérités du christianisme ; un merveilleux particulier à ce genre de compositions ; qui leur appartient tout entier ; qui n’a point été employé avant ni depuis ; qui enfin n’est pas, comme tous les autres, le vain fantôme de l’imagination, mais qui a une origine réelle, positive et entièrement historique.
Après le grand ébranlement causé par le vide qu’avait laissé dans le monde la chute de l’empire romain, les peuples de la Germanie et de la Scythie européenne se ruèrent sur le grand colosse prosterné. Alors les tribus nomades du nord de l’Asie, comprises sous le nom général de Tartares, n’étant plus contenues, sortirent aussi de leurs déserts, et ne cessèrent, durant plusieurs siècles du moyen âge, de s’avancer sur les contrées les plus florissantes, et d’attaquer les États les plus puissants, qu’elles finirent par conquérir. Sous la conduite de Gengiskan et de Tamerlan, elles fondèrent les plus vastes empires que l’on ait vus sur notre globe. De grands carnages, des cruautés inouïes, signalèrent ces prodigieuses révolutions. Ces Tartares, pour lesquels l’immense Asie ne pouvait pas suffire, pénétrèrent dans les parties orientales de l’Europe, et fondèrent en Russie, dans l’ancienne Dacie et dans la Pannonie, de nouveaux États : de là, ils firent encore des excursions en Allemagne, en Italie, et jusque dans notre France. Partout ils répandirent l’effroi et inspirèrent une horreur générale. Les plus anciens et les plus cruels de ces dévastateurs devinrent les plus célèbres, et leurs noms servirent â désigner tous les autres. C’est ainsi qu’on réunit les noms des anciens Huns et des féroces Oïgours pour désigner les Madgiars, tribu tartare, venue des bords du Wolga, qui s’établit le plus avant dans l’intérieur de l’Europe. En Dacie et en Pannonie on les nomma d’abord Hunni-Gours, et leur pays Hunni-Gourie : de là sont venus les noms de Hongrois et Hongrie. Ces Hongrois, ces Hunni-Gours, ces Oïgours, sont les ogres de nos contes de fées ; ce sont ces êtres féroces qui dévorent les enfants, et aiment la chair humaine tendre et savoureuse.
Les Arabes aussi croyaient à l’existence d’une race d’homme qui se délectait à manger les petits enfants, ils les nommaient Gouls, et ce nom me paraît avoir la même étymologie que celui de gour, d’olgours, ou d’ogre.
Les Hongrois, au neuvième siècle, sont les Olgours, et, dans les écrits en langue romane des douzième et treizième siècles, ce sont les ogres. Ouvrez le dictionnaire de la langue romane, au mot Ogre, et vous y trouverez pour synonyme le mol Hongrois. Il n’y a rien de plus certain et de mieux prouvé que cette origine. Les courses des Hongrois en Allemagne, en Italie et ea France, eurent lieu principalement dans le neuvième siècle, et vers le milieu du dixième, en même temps que les incursions des Normands, de série que le mélange de l’ancienne féerie armoricaine avec la mythologie des descendants d’Odin l’opérait a la même époque que l’irruption des ogres et pendant que les horreurs dont ils se rendaient coupables, et auxquelles l’imagination ajoutait encore, imprimaient la terreur à des esprits déjà imbus de tant de superstitions diverses. De cette triple alliance s’est composé, s’est complété le merveilleux de nos contes de fées.
Lee Olgours ou Igours dont il est fait mention dans Procope dès le sixième siècle étaient une race turque, et, comme les Turcs, originaires du centre de l’Asie. Ceux-ci, les plus reculés vers l’orient, habitaient les frontières de la Chine. L’origine de leurs grandes entreprises, telle qu’elle est rapportée dans leurs propres annales, est bien digne de figurer dans l’histoire de nos fées. Selon ces annales, Boucou-Khan, chef des Olgours, étant couché dans sa tente, fut éveillé par une ombre sous la forme d’une jeune fille. Saisi de frayeur, il feignit de dormir. La nuit suivante il eut la même apparition ; mais la troisième nuit, par le conseil de son ministre, il suivit ce fantôme féminin jusqu’à une montagne nommée Goulag; et tous deux s’entretinrent Jusqu’au lever de l’aurore. Cette ombre revint chaque nuit pendant sept ans six mois et vingt-deux jours, et chaque nuit elle et Boucou-Khan allaient converser ensemble, et toujours dans le même lieu. La dernière fois qu’ils s’y virent, la jeune tille, en prenant congé de Boucou-Khan, lui dit : « Le monde entier, de l’orient à l’occident, sera sous ton empire; prépare-toi à accomplir ta destinée, et gouverne bien tes peuples. » Boucou-Khan, obéissant à la voix de la jeune fille, rassembla ses armées et marcha à la conquête du monde.
D’autres auteurs orientaux nous apprennent qu’une tribu d’Olgours, celle des «Kotche, était, parmi les Tartares féroces, devenue célèbre par sa férocité. ” Ils ignoraient, disent ces auteurs, les lois de l’hospitalité, s’asseyaient accroupis comme des animaux, en posant les mains sur les genoux.. Quand la foudre tombait ils poussaient des cris affreux et tiraient des flèches contre le ciel. Ils avaient des sacrifices d’animaux, qui étaient présidés par des sorcières.”
Quelques tribus des Olgours, tributaires des Hiong-nou, pénétrèrent en Europe avec les autres Tartares, se fixèrent en Crimée, et se servirent d’une langue, appelée lingua ougouresca par les commerçants italiens qui les
fréquentèrent les premiers. Dans les douzième et treizième siècle, on confondit tous les Tartares sous les noms de Olgourst de Hiong-nou, de Hongrois. Le nom d’olgour ou ogre devint synonyme d’homme féroce : la peur en fit des êtres hideux, redoutables et stupides, qui avaient faim de chair humaine. C’est alors que les conteurs de profession, les auteurs de Mabinogion, et, après eux, les bonnes vieilles et les nourrices, employèrent dans leurs fictions les ogres au lieu des loups et des tigres, comme le principal ressort de terreur. C’est aussi vers la même époque que les trouvères introduisirent l’usage de faire figurer dans leurs longs poèmes ou romans les rois de Catay ou de la Chine, et ceux de la Tartarie, parce que ces contrées commençaient à être connues, et par les invasions des peuples asiatiques, et par les récits du voyageur Marc-Paul et de quelques autres, ainsi que par les écrits des Arabes.
Antérieurement à ces siècles, les conteurs, les romanciers et les poètes se servaient, comme moyen de terreur, d’hommes changés en loups. De là sont venus les loups-garous, êtres fantastiques et féroces, qui, comme les fées, paraissent aussi avoir été le produit des imaginations et des superstitions bretonnes. L’histoire du Bisclavaret, qui est la plus célèbre de ce genre, est, de l’aveu de Marie de France, qui l’a versifiée, un lai breton; les événements s’y passent en Bretagne, et un philosophe, y faisant part au roi des soupçons qu’il a conçus que le loup, devenu l’objet de l’attention générale, est un homme, s’appuie surtout sur cette considération, que de telles métamorphoses se voient fréquemment en Bretagne :
Mainte merveille aucnn veu
Que en Bretagne est avenu.
Il résulterait de tout ceci que nous pourrions faire une distinction relativement à l’antiquité de nos contes de fées, et considérer comme n’étant pas plus anciens que les douzième et treizième siècles ceux où les ogres Jouent un rôle, tandis que ceux où ils n’y figurent pas pourraient être de beaucoup antérieurs. Ainsi le Petit Chaperon Rouge, très-simple d’invention, et où le loup est le moyen de terreur. Peau d’Ane, et la terrible Barbe-Bleue, seraient au nombre des plus anciens; tandis que la Belle au bote dormant, où une ogresse veut manger ses propres petits-enfants et même sa bru ; le malin Chat botté, qui parvient à manger un ogre qu’il a d’abord, par ses ruses, fait métamorphoser en lion et ensuite en souris ; l’admirable Petit Poucet, où les bottes de sept lieues sont deux fées, et où l’ogre est un si puissant ressort d’intérêt, auraient été composés, ou du moins modifiés, sous la forme où nous les avons, dans les douzième et treizième siècles. Les ogres ne figurant pas dans Cendrlllon et Riquet à la Houppe, ces contes doivent aussi être rangés dans la classe des plus anciens ; mais plusieurs circonstances, qui retracent des mœurs modernes, nous prouvent que ce sont ceux qui ont subi le plus d’altérations, soit qu’ils aient été ainsi changés par la tradition, soit qu’en effet Perrault en les écrivant y ait ajouté, plus que dans les autres, des détails de son invention.
- Dissertation sur les Contes de Fées” “Baron WALCKENAER.