- Charles Athanase, baron Walckenaer, né le 25 décembre 1771 à Paris et mort le 26 avril 1852 à Paris, est un naturaliste français.
Dissertation sur les Contes de Fées – attribués à Perrault et sur les origines de la Féerie
– Par le Baron Walckenaer, membre de l’Institut.
Dissertation sur les Contes de Fées . (extraits 2) 1ere. partie – 2eme. partie – 3eme. partie
DU RECUEIL DES CONTES EN PROSE DE PERRAULT ET DE CELUI DE Melle. LHÉRITIER.
Le succès du conte de Peau d’âne suggéra à Perrault l’idée de mettre par écrit, mais en prose, les contes de la Mère l’Oye, ou les récits merveilleux dont les nourrices de son temps amusaient les enfants, et dont il avait fait mention dans son Parallèle des anciens et des modernes. Il livra d’abord à son jeune fils, dont l’éducation l’occupait beaucoup, ces récits à composer comme exercices d’étude, et la naïveté des phrases enfantines du jeune Perrault Darmancour lui ayant paru favorable à ce genre de composition, il la conserva en partie, et disposa le tout pour l’impression. Perrault donna avec raison à ce recueil le titre d’Histoires ou Contes du temps passé.
L’ouvrage parut au mois de janvier 1697 en un petit volume in-12. Mais ces contes avaient circulé en manuscrit avant d’être imprimés, et leur succès inspira à M** Lhéritier l’idée de mettre aussi par écrit les contes qu’elle avait entendu faire à sa nourrice. En 1696, c’est-à-dire un an avant la publication des contes de Perrault, parurent les Œuvres meslées, contenant l’Innocente tromperie, l’Avare puny, les Enchantements de l’éloquence, les Aventures de Finette, Nouvelles et autres ouvrages en vers et en prose de Mlle. L*** Le premier conte est adressé à Mlle. Perrault, fille de notre Perrault. Après divers éloges sur son père, Mlle. Lhéritier dit à celle demoiselle que la conversation étant tombée sur un de ces contes naïfs, qu’un de ses élèves a mis depuis, peu sur le papier avec tant d’agrément, on en conta quelques-uns, et que son tour à elle étant venu, elle conta celui de Marmosan, avec quelques broderies qui lui vinrent à l’esprit ; puis elle ajoute : « Je vais vous dire un conte tel à peu près que je le racontai. J’espère que vous en ferez part à votre aimable frère ; et vous jugerez ensemble si cette fable est digne d’être placée dans son agréable recueil de contes. » Puis elle termine ainsi :
« Ce que je viens de vous dire est toujours au fond bien naïvement conte de Marmosan, tel qu’on me l’a conté quand j’étais enfant. »
Cent fais ma nourrice ou ma mie
M’ont fait ce beau récit le soir près du tison;
Je n’ai fait qu’ajouter un peu de broderie,
Dans le second conte, intitulé les Enchantements de l’éloquence ou les effets de la douceur, nouvelles adressées à Madame la Duchesse d’Epernon,
l’auteur dit ?
« Vous vous étonnerez sans doute, vous que la science la plus profonde n’a Jamais étonnée, que ces contes, tout incroyables qu’ils sont, soient ve nus d’âge en âge Jusqu’à nous, sans qu’on se soit donné le soin de les
écrire:
Ils ne sont pas aisés à croire,
Mais tant que dans le monde on verra des enfants,
Des mères et des mères-grands,
On en gardera la mémoire.
Une dame très-instruite des antiquités grecques et romaines, et encore plus savante dans les antiquités gauloises, m’a fait ce conte quand j’étais entant.»
Page 172, eue interrompt sa narration pour dire encore « Si je voulais. Madame, vous conter cette histoire entièrement dans les termes que les conteurs de Provence l’ont apprise à nos grand’mères, je vous dirais, etc.»
Dans une lettre à Mme. de D. G** Melle. Lhéritier, dissertant sur l’antiquité de ces contes, l’attribue à des troubadours, et ajoute : « Malgré le progrès des romans, la tradition nous a conservé les contes des troubadours; et comme ils sont ordinairement remplis de faits surprenants, et qu’ils renferment une bonne morale, les grand’mères et les gouvernantes les ont toujours racontés aux enfants. »
A la page 312 est un aveu encore plus décisif et plus important pour notre objet.
« Ce qui me parait le plus capable d’étonner, est de voir que ces fables gothiques, qui ne sont faites que pour porter aux bonnes mœurs, sont cependant remplies très-souvent d’aventures scandaleuses. Par exemple, vous savez bien que dans le conte de Finette, ses deux sœurs sont très-éloignées d’être aussi vertueuses que je les fais : on ne parle point de mariage : ce sont deux indignes personnes de qui on raconte les faiblesses odieuses, avec des circonstances choquantes.» Dans un autre endroit ( p. 311) elle dit : « J’ai pour moi la tradition, qui met ce conte de Finette au temps des croisades. »
Il est bien démontré, d’après ces passages, que le fond des contes composés par Mlle. Lhéritier, à l’imitation de ceux de Perrault, n’était point de son invention, mais qu’elle n’avait fait que mettre par écrit et broder à sa manière des récits de grand’mères et de gouvernantes, transmis, comme elle le dit, d’Age en Age par une longue tradition.
Actuellement, revenons au recueil de Perrault.
Il est dédié A Mademoiselle; et quoiqu’on ait imprimé peut-être plus de cinq cents éditions de ce livre, et plusieurs avec des notices sur l’auteur et sur l’ouvrage, personne n’a pris soin de rechercher quelle était la princesse qui portait, à cette époque, exclusivement le titre de Mademoiselle. C’était Elisabeth-Charlotte d’Orléans, sœur de Philippe, duc de Chartres, et depuis duc d’Orléans, et régent du royaume après la mort de Louis XIV. Charlotte d’Orléans était née le 13 septembre 1676. Elle avait vingt ans accomplis, et elle épousa l’année suivante le duc de Lorraine. Dans l’épître dédicatoire il est parlé de l’étendue de son esprit, qui peut s’élever en même temps jusqu’aux plus grandes choses et s’abaisser jusqu’aux plus petites. Ces contes ne sont donc pas dédiés à un enfant, comme l’ont cru quelques éditeurs, mais c’est un enfant qui est censé parler dans cette épître dédicatoire. Elle est signée P. Darmancour, c’est-à-dire Perrault Darmancour. Ce nom est celui d’un fils de Perrault. Mais l’éditeur des Mémoires posthumes de cet académicien nous dit, dans une note, que Perrault est le véritable auteur des Contes de fées publiés sous le nom de son fils, ce que personne n’ignorait : Perrault avait alors soixante-huit ans, et il eut quelque scrupule de faire paraître sous son nom une production aussi frivole. On ne fut pas la dupe de ce stratagème, ou plutôt lui-même ne désirait pas qu’on s’y trompât, puisque son fils était, dit-on, tout au plus alors âgé de dix ans : Perrault empruntait le nom d’un enfant plutôt par décorum que par déguisement ou par ruse.
Je trouve dans la première édition de ces contes une preuve positive de la proposition que j’ai avancée : celle première édition est précédée d’un frontispice gravé qui représente une vieille filant et faisant en même temps des contes à une jeune fille et à deux jeunes garçons qui sont auprès d’elle. Au-dessus de cette femme sont écrits ces mots : Contes de ma Mère l’Oye ; ce qui nous indique que ce recueil contenait les contes vulgairement connus sous ce titre, et cités plus haut, dans le passage du Parallèle sur les anciens et les modernes dans lequel Perrault fait mention des contes de Peau d’âne et de la Mère l’Oye comme étant alors populaires. Or, la publication du Parallèle sur les anciens et les modernes est antérieure à celle du recueil dont nous nous occupons ; il est donc prouvé que les contes de ce recueil, qui sont ceux de ma Mère l’oye, ne sont pas de l’invention de Perrault, mais que, comme Peau d’âne, ils étaient connus des bonnes et des nourrices qui les racontaient aux petits enfants, avant qu’il eût pris à Perrault la fantaisie de les écrire et d’y coudre des moralités en vers. Enfin l’auteur semble lui-même confirmer cette assertion par son aveu, lorsqu’il dit dans son épître dédicatoire : « Ces contes donnent une image de ce qui se passe dans les moindres familles, où la louable impatience d’instruire les enfants fait imaginer des histoires dépourvues de raison, pour s’accommoder à ces mêmes enfants qui n’en ont pas encore. » Il est remarquable que ce recueil ne contient pas le conte de Peau d’âne, et qu’on ne le trouve ni dans l’édition de 1707, qui est la réimpression, page pour page, de la première, ni dans l’édition de 1724, qui parut chez Nicolas Gosselin. Toutes ces éditions ne contiennent que huit contes, savoir : la Belle au bois dormant, le petit Chaperon rouge, Barbe bleue, le Chat botté, les Fées, Cendrillon, Riquet à la houppe et le petit Poucet. Il est probable que la réunion de ces contes complétait le recueil des contes vulgairement connus sous le nom de Contes de ma Mère l’Oye, et que le conte de Peau d’âne n’en faisait pas partie, puisque Boileau dans sa Dissertation, et Perrault dans son Parallèle des anciens et des modernes, les distinguent ; et que Perrault n’a pas réuni ce dernier conte aux autres. Depuis, on a mis en prose ce conte de Peau d’âne, et on l’a inséré à la suite de ceux de Perrault. Tous les éditeurs lui ont attribué cette version de Peau d’âne en prose : le plus grand nombre a même ignoré qu’il eût écrit ce conte en vers. Mais Perrault mourut en 1703, et nous venons de voir que, longtemps après, son recueil de contes ne contenait que les huit Contes de la Mère l’Oye, et que Peau d’âne ne s’y trouvait pas; Perrault ne peut donc être l’auteur de la version en prose de ce dernier conte. Cet auteur, qui m’est inconnu, a d’ailleurs fait précéder cette version d’une épître en vers a Mlle. Éléonore de Hubert, dont on ne trouve pas la moindre mention dans aucun des ouvrages de Perrault; de plus, les vers de cette épître sont meilleurs et moins prosaïques que ceux par le moyen desquels Perrault a cherché à diversifier son recueil.
En 1742, on publia à La Haye une édition des Histoires ou Contes du temps passé, avec de jolies gravures en tête de chaque conte. Dans cette édition, on ajouta une nouvelle aux contes de l’ancien recueil. Cette nouvelle est celle de Mlle. Lhéritier, intitulée l’Adroite princesse, ou les aventures de Finette, qui avait paru en 1696, avant les Contes du temps passé, et qui cependant passa depuis cette époque pour être de Perrault.
Le conte de Peau d’âne ne se trouve pas dans cette édition de 1742, ni en prose ni en vers. J’ignore quand il a été ajouté au recueil, et quand il a été mis en prose ; mais cette édition prouve au moins qu’il s’est passé plus d’un demi-siècle avant qu’on y ait songé.
- “Dissertation sur les Contes de Fées ” Baron WALCKENAER.