Le Corbeau ayant trouvé quelque proye, s’en rejouïssoit, & faisoit un merveilleux bruit sur un Arbre ; lors que le Renard, qui luy vid faire toutes ces mines, estant accouru à luy : “Bien te soit, dit-il, Monfieur le Corbeau : l’ay souvent oüy dire d’estranges choses de toi, mais à ce que je vois maintenant, elles sont bien fausses. Voilà pour, quoy, comme j’ay passé par isy, t’ayant veu fortuitement perché sur cet Arbre , je me suis advisé de m’en approcher, pour rejetter cette calomnie. Car quelle apparence y a- t’il de souffrir qu’on die de toy, que tu es plus noir que de la poix ,puis que mes yeux me font voir que tu
surpasses la Neige en blancheur ? Certes, s’il en faut faut croire mon jugement, je trouve que tu as de l’avantage par dessus les Cygnes, & que tu es plus beau que du lierre blanc. Que si ta voix estoit aussi excellente que tes plumes, je ne croirois pas mentir, si je t’appellois le Roy des Oyseaux. Ces termes de flatterie alléchèrent si bien le Corbeau , qu’il luy prit envie de chanter; mais comme il s’apprestoit pour cela, il laissa cheoir un fourmage qu’il avoit au bec, & le Renard s’en saisit incontinent. Il s’éclata de rire pour lors, tandis que de son costé le misèrable Corbeau demeura confus, & qu’il eut grande honte de sa perte, & de son mal-heur.
“Du Corbeau et du Renard”