Ésope
Écrivain grec et fabuliste antiquité – Plusieurs versions du Corbeau et du Renard
Du Corbeau et du Renard – Un Corbeau s’était perché sur un arbre, pour manger un fromage qu’il tenait en son bec. Un Renard qui l’aperçut, fut tenté de lui enlever cette proie. Pour y réussir et pour amuser le Corbeau, il commença à le louer de la beauté de son plumage. Le Renard voyant que le Corbeau prenait goût à ses louanges : ” C’est grand dommage, poursuivit-il, que votre chant ne réponde pas à tant de rares qualités que vous avez. ” Le Corbeau voulant persuader au Renard que son chant n’était pas désagréable, se mit à chanter, et laissa tomber le fromage qu’il avait au bec. C’est ce que le Renard attendait. Il s’en saisit incontinent, et le mangea aux yeux du Corbeau, qui demeura tout honteux de sa sottise, et de s’être laissé séduire par les fausses louanges du Renard.
Autres versions
Le Corbeau et le Renard – Un corbeau, ayant volé un morceau de viande, s’était perché sur un arbre. Un renard l’aperçut, et, voulant se rendre maître de la viande, se posta devant lui et loua ses proportions élégantes et sa beauté, ajoutant que nul n’était mieux fait que lui pour être le roi des oiseaux, et qu’il le serait devenu sûrement, s’il avait de la voix. Le corbeau, voulant lui montrer que la voix non plus ne lui manquait pas, lâcha la viande et poussa de grands cris. Le renard se précipita et, saisissant le morceau, dit : « O corbeau, si tu avais aussi du jugement, il ne te manquerait rien pour devenir le roi des oiseaux. »
Cette fable est une leçon pour les sots.
- Ésope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Lupus et Agnus
Ad rivum eundem lupus et agnus venerant
siti compulsi; superior stabat lupus
longeque inferior agnus. Tunc fauce improba
latro incitatus jurgii causam intulit.
« Cur, inquit, turbulentam fecisti mihi
aquam bibenti ? » Laniger contra timens :
« Qui possum, quaeso, facere quod quereris, lupe ?
A te decurrit ad meos haustus liquor. »
Repulsus ille veritatis viribus :
« Ante hos sex menses, male, ait, dixisti mihi ».
Respondit agnus : « Equidem natus non eram. »
« Pater hercle tuus, ille inquit, male dixit mihi » ;
atque ita correptum lacerat iniusta nece.
Haec propter illos scripta est homines fabula
qui fictis causis innocentes opprimunt.
- Phedre – (14 av. J.-C. – vers 50 ap. J.-C.)
Le Loup et l’Agneau
Attirés par la soif vers le même ruisseau.
Certain jour, le Loup et l’Agneau
Se rencontrèrent au rivage.
L’Agneau respectueux ne puisait son breuvage
Que fort au-dessous du brigand.
Celui-ci , de rage écumant,
A son faible voisin soudain cherche querelle :
« Pourquoi troubler, dit-il, la liqueur que je bois ? »
L’Agneau répond, d’une tremblante voix,
« Le puis-je, seigneur? L’eau de vous à moi ruisselle. »
A cela que répondre ? Il poursuivit ainsi :
» Tu m’as calomnié cette automne dernière. »
— « Eh! comment l’aurais-je pu faire,
« Quand je ne vois le jour que de ce printemps-ci? »
— « Ce n’est pas toi ? c’est donc ton père ? »
Cela dit, il l’immole à sa faim meurtrière.
Vous reconnaîtrez là le coupable puissant,
Qui, sous un faux prétexte, opprime l’innocent.
- Fable de Phedre traduite par M. de Joly – édition 1813

Le Loup et l’Agneau
Un Loup et un Agneau, pressés pat la soif, étaient venus au même ruisseau. Le Loup se désaltérait dans le courant bien au dessus de l’Agneau; mais, excité par son insatiable avidité, le brigand lui chercha querelle. « Pourquoi, lui dit-il viens-tu troubler mon breuvage?» L’Agneau répondit, tout tremblant : « Comment, je vous prie, puis-je faire ce dont vous vous plaignez? cette eau descend de vous à moi. » Repoussé par la force de la vérite , le Loup reprit : « Tu médis de nous, il y a six mois.
— Mais je n’étais pas né, répliqua l’Agneau.
— De par Hercule ! ce fut donc ton père, ajouta le Loup. »
Et, dans son injuste fureur, il le saisit et le déchire.
Cette fable a été écrite contre ceux qui, sous de faux prétextes, oppriment les innocens.
- Fable de Phedre traduite par Ernest Panckoucke ‘ 1808 – 1886) édition 1839
Dou Corbel et d’un Werpilz
Ainsi avint, et bien puet estre
Ke par devant une fenestre
Ki en une depense feu ,
Vola un corb ; si a véu
Furmaiges, qui dedens esteient
Et séur une cloie giseient ,
L’un en a pris, si s’en reva
Un vorpilz vint, si l’encontra
D’un fourmage ot grant desirier
Que il en puist sa part mengier ;
Par engin voira essayer
Se le corb porra ensgingnier
Ha ! Diex sire, fit li werpilz ,
Cum est or ciest oisiaus gentix !
U munde n’a si bel oisel
Une de mes elx ne vit si bel .
Fust tieux ses chans cum est ses corps
Il vaurait mieux que nul fins or.
Li corb s’oï si bien louer
Qu’en tut le munde n’ot son per
Purpensez s’est qu’il cantera ;
Pur canter sun los ne perdra
Son bec uvri, si commença ;
Li furmaiges li escapa ;
A la terre l’estut cheir
E le houpix le vet saisir ,
Puis n’ot-il eure de son chant,
Car del’ fourmage ot son talent
Moralité :
Cis example est des orgueillox ,
Ki de grant pris sont désirox ;
Par lusenger et par mentir ,
Les puet-um bien à gré servir.
Le lur despendent folement
Pur fausse loange de la gent.
- Marie de France – (1160 – 1210)
Ne croire la louange des flateurs.
Flateurs sont tousjours bien venus
Vers ceulx qui ayment leur louange :
Mais, quand la fortune se change,
Ilz sont pour ennemys tenus.
Du Regnard et du Corbeau
Ung noir Corbeau dessus ung arbre estoit
Et en son bec ung fromaige portoit
Qu’il avoit pris; ung Regnard, d’adventure,
Passoit par là qui cherchoit sa pasture,
Et, en voyant le Corbeau et sa proye,
La convoita, puis s’arreste en la voye,
Et, en louant fainctement le Corbeau,
Dict : « Mon amy, que ton plumaige est beau!
J’apperçoy bien à ceste heure que non
Est vray le bruict et le commun renom :
Car chascun dict que noir est ton plumaige,
Mais il est blanc, voire blanc d’avantaige
Que neige n’est, ne le laict, ne les cignes.
J’en recognois bien maintenant les signes.
Sy donc avec tes plumes tu avois
Le chant plaisant et delectable voix,
Certes, amy, je te jure ma foy
Que tu serois sur tous oyseaulx le roy. »
Lors le Corbeau, esmeu de gloire vaine,
Ouvre le bec, et de chanter prend peine,
Et le fromaige alors chet promptement.
Regnard le prend, et fuyt soubdainement.
Le Corbeau crie en se voyant deceu :
« Je suis trompé, je l’ay bien apperceu,
Et cognois bien qu’on ne doit jamais croire
A ung flateur qui donne vaine gloire. »
- Gilles Corrozet (1510 – 1568)
Le Corbeau et le Renard
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
” Et bonjour, Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. ”
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie,
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : ” Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. ”
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)

Le Renard et le Corbeau
Le renard du corbeau loua tant le ramage,
Et trouva que sa voix avait un son si beau,
Qu’enfin il fit chanter le malheureux corbeau,
Qui de son bec ouvert laissa cheoir un fromage.
Ce corbeau qui transporte une vanité folle,
S’aveugle et ne s’aperçoit point
Que pour mieux le duper, un flatteur le cajole :
Hommes, qui d’entre vous n’est corbeau sur ce point.
- Isaac de Benserade – (1612 – 1691)
Le Corbeau et le renard
Bien revenu sur son plumage
Et la beauté de son ramage,
Tout en ayant toujours fort à coeur son fromage,
Le Corbeau se disait : « J’accepte la leçon;
Mais je voudrais en donner une
Au Renard, qui n’est qu’un fripon.
Il m’a volé; je lui garde rancune;
C’est toujours mal de se venger;
Mais le scrupule ici n’a rien à faire3
Puisqu’après tout, c’est pour le Corriger.
Il me vient une idée; elle n’est pas vulgaire.
Ah ! je vais lui servir un plat de mon métier,
Et rira bien qui rira le dernier;
Essayons, bah ! vaille que vaille ! »
Bientôt après, comme un homme en ripaille, •
Le Corbeau par ses cris troublait tout le quartier.
Le Renard aussitôt, sortant de son terrier,
Se dit : « Maître Corbeau me paraît bien en joie;
Il a sans doute attrapé quelque proie;
Je vais bien le savoir. Eh! bonjour donc, voisin;
Vous rencontrez toujours; vous êtes un malin;
En vérité, vous avez de la chance.
— On fait ce que l’on peut, répondit le Corbeau;
Mais aujourd’hui j’ai fait bombance;
Tenez, il me reste un morceau;
Le voulez-vous? Je vous le donne;
C’est pour votre leçon, que je trouve fort bonne.
Approchez donc; c’.est du bon, c’est du fin;
C’est du filet de lièvre ou de lapin.
Attention ! ouvrez bien la mâchoire.
— Lâchez! » dit le Renard. C’était une attrapoire,
Un dur caillou qui, trempé dans le sang,
Outre un croc qu’il lui casse,
Lui fend la babine en tombant.
Jamais plus piteuse grimace
Que celle du triste Renard;
Il s’enfuit, l’oreille bien basse,
Et d’un ton goguenard
Le Corbeau lui croasse :
C’est un bonheur
De tromper le trompeur;
C’est pain bénit quand c’est un vil flatteur !
S’il rencontrait toujours de semblables aubaines,
A toute autre besogne il emploîrait ses soins;
Bien des femmes seraient moins vaines;
Les cours des rois seraient moins pleines,
Et les budgets grossiraient moins .
Paris, 20 janvier 1864. Suite de la fable de La Fontaine
- Barthélemy de Beauregard – (1803 – 18??)
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On pourra peut être dire que le corbeau se venge d’une manière atroce ; mais il n’a pas prévu que son stratagème causerait tant de ravages ; il n’en a pas même vu tous les effets du haut de son perchoir. Le renard lui a donné une leçon qui l’a guéri de sa sotte vanité; il veut, à son tour, lui en donner une pour le guérir du vice de la flatterie; il la donne, et, s’il dépasse le but, c’est, sans le vouloir, n’ayant fait aucune étude sur la chute des gravois.
Le Corbeau et le Renard
On conte qu’un matin d’une froide journée,
Après une vaine tournée,
Un renard pressé par la faim :
La faim est comme on sait une terrible chose !
Et peut-être aussi par l’ennui,
Dans un piège tomba sans doute malgré lui,
Car à peine du jour l’aube était-elle éclose ;
Un appât dans un lacs en forme de réseau,
Et qu’il touchait déjà du bout de son museau,
Pouvait bien encor… mais la chose n’est pas sûre,—»
Etre pour quelque peu dans sa mésaventure,
Quoi qu’il en soit il était pris.
Que l’on juge de la grimace
Qu’il pouvait faire, et de ses cris !
Un corbeau qui le voit, en paraît fort surpris,
Il le connaît ! O dieux ! dit-il, je vous rends grâce,
Mon mangeur de fromage… Ami de ta leçon
Je me souviens encore, et veux à ma façon,
Te le prouver : Avant, permets donc que je goûte
Ces restes d’un vieux coq, qu’on a mis là.
Sans doute, Ils doivent t’offusquer , puisque de ton chagrin
Ils sont cause; et leur vue augmente ta misère.
Cela fait, le corbeau sur un arbre voisin,
Va détacher le lacs qui tient le pauvre hère,
Suspendu, par le corps, à quelques pieds déterre.
En liberté remis, le malheureux routier,
S’enfuit en maugréant au fond de son terrier;
Honteux, mais convaincu que ce tour salutaire,
Etait fort préférable à celui d’un escroc.
La leçon valait bien les restes d’un vieux coq.
- Charles Beaulieu 18??-????
Le Renard et le Corbeau
Sur l’amour de la flatterie chez les hommes,
au sujet de la fable de Maître Corbeau. 26 août 1838.
Qu’il est beau,
Maître Corbeau!
Mais qu’il est candide
D’avoir accepté,
Comme vérité
Le dire perfide
D’un rusé flatteur,
Très-adroit menteur,
Qui sait vivre
Aux dépens
Des gens
Qu’il enivre
Effrontément
De louanges
Assurément
Fort étranges,
Mais réalité
Pour la vanité !
Faire usage
De la leçon,
Etre sage,
Je le dis sans façon,
N’est pus sérieux
Pour le glorieux.
Confus de l’aventure
Corbeau, dans sa déconfiture,
Jura, quoiqu’un peu tard.
Que fin renard
Serait habile
Si désormais,
Par adroit mobile,
Le trompait jamais,
Le jurer, c’est possible;
Le tenir, peu plausible.
De l’homme l’esprit hautain
De ceci me rend certain.
Il aime la flatterie,
Qu’importe la tromperie?
N’est-il pas joyeux,
Lorsqu’un mensonge
Revêt d’un songe
L’éclat radieux !
- Charles-Benjamin Poisson (Abbé)(1809-1885)
La rencontre du Corbeau et du Renard
Des centaines d’années plus tard,
Maître corbeau rencontra Maître renard.
Rencontre pour le moins imprévue,
En raison de ce qu’il avait vécu !
Depuis que Monsieur de la Fontaine
Avait conté cette calembredaine,
L’un était resté sur sa gloire,
L’autre sur son désespoir.
Les ans atténuent les souffrances,
Amoindrissent les victoires,
L’un et l’autre étaient sans doute fatigués
De la notoriété dont ils avaient hérité.
Le corbeau était resté noir,
Le renard était toujours roux,
Le premier vivait encore perché,
Le second continuait de vagabonder.
Mais qui allait parler le premier ?
– Moi, dit le corbeau, je n’ai plus de fromage,
Mais, un souvenir d’un autre âge
Que le temps peine à apaiser,
Car où que j’aille,
Les enfants qu’on appelle marmaille,
Récitent encore la fable sans se tromper !
Combien de fois aurais-je voulu être renard,
Combien de fois, j’ai maudit cette histoire !
Enfin, je dois cesser de me lamenter,
Ce n’est pas ce que vous êtes venu écouter.
Pour la première fois peut-être,
Le renard comprit ce qu’avait pu être
Le désespoir du corbeau noir.
– Sachez, lui dit-il, que j’ai aimé cette gloire,
Ces gens qui riaient de votre désespoir.
J’ai enfin compris que, le temps ayant passé,
Sans vous, je ne serai pas entré dans l’histoire.
Il me semble de mon devoir
De rendre ce que par ruse je vous ai volé.
Depuis, l’on peut voir dans la campagne
Deux voyageurs infatigables,
Un renard et un corbeau,
Allant tous deux par monts et par vaux !
Rancunes d’un siècle ou deux, d’une semaine,
Combien vaines sont les rancunes humaines !
- Guy Le Ray (fabuliste contemporain)
Le Renard et le Corbeau
Corbeau le ballotin sur un arbre perché
Flanquait entre ses crocs un comas frodogome.
Renard le combinard qui n’avait pas croqué,
Radina en louce dé pour lui faire à l’estom.
Bonjavour mon pot’, je n’avais pas gaffé
Que tu étais si barth et si bien balancé.
Sans attiger, si tes chocottes
Sont kif-kif avec ta bouillotte,
Tu es le plus grand girond des mectons du loinqué…
A ces vann’s, le corbeau se sentit chanc’tiquer
Et pour mieux faire zieuter ses crocs
Débrida son bavac, en lâchant son calendos.
Le renard le brifa sans casquer un rotin,
Jaspinant « Je t’ai eu avec mon baratin ».
Les merles auront toujours la loi avec les caves
Ce rencard me vaut bien un fromage « tet » de nave.
Le corbeau répondit « Vieille cloche
Je m’en tape », ce fromagi avait des astibloches.
MORALITE
Chacun dans son loinqué, s’il veut rester peinard
Doit boucler son clapet devant les combinards.
Mewen Portel, fabuliste