Labeur continuel faict ung grand thresor
De peu à peu à grand bien on parvient,
Quand par labeur d’estre riche on affecte :
Avec espoir perseverer convient,
Car pierre à pierre est une maison faicte :
Du Laboureur et de ses Enfantz
Ung Laboureur, voyant finer sa vie,
De bien pourvoir ses enfantz eut envie,
En desirant les faire riches gens
Par leur labeur, s’ilz estoient diligens.
Se mourant donc, il leur va dire ainsi :
« Mes beaulx enfantz, après ma mort, voicy
Que vous ferez : ma vigne foullerez,
Et tout au fons ung thresor trouverez
Que j’y ay mis pour la succession,
Dont je vous mectz en la possession. »
Le Pere mort, les enfantz s’en allerent
Droict à la vigne, et sôubdain la fouillèrent
Avec houyaux et houes jusqu’au fons ;
Mais nul thresor trouverent aux parfonds,
Dont ilz pensoient avoir esté deceuz.
Mais celle vigne, après les coups receuz
Des instrumentz servantz aux laboureurs,
Produict ses fruictz et ses raisins bien-meurs ;
Et, neantmoins quelle eus esté en friche,
Par ce labeur chascun d’iceulx feit riche.
Il appert donc que, quand on continue
A labourer, le bien ne diminue,
Mais il s’augmente et survient au besoing :
De peu à peu certes on va bien loing.
Plus est prisé ung bien ainsi acquis
Qu’ung bien trouve, ou ung thresor exquis.
“Du Laboureur et de ses Enfantz”
- Gilles Corrozet 1510 – 1568