Le Lièvre voyant un jour la Tortuë, qui se trainoit à pas lents , se mit à soûrire, & luy dit plusieurs mots de raillerie, pour blâmer son extrême tardiveté. Alors la Tortuë , à qui ce mépris du Lièvre servit d’un juste sujet de s’en offencer , ne luy fit point d’autre réponse, sinon qu’elle le défia courageusement à la course. Ce défi accepté, & tous deux estans demeuré d’accord du lieu jusques où ils dévoient courrir, ils prirent le Renard pour leur Juge. La Tortuë partit en mesme temps, & le Lièvre luy laissa prendre tel advantage qu’elle voulut, s’imaginant qu’il y seroit assez-tost pour la vaincre. Voilà cependant qu’à force d’aller, elle se rendit insensiblement aux bornes prescriptes, & gagna par ce moyen le prix de la course. Dequoy le Lièvre bien étonné, maudit tout haut sa nonchalance, & la trop bonne opinion qu’il avoit eue de soy-mesme. Mais le Renard s’en mocquant ; Mal-avisé que tu es, luy dit-il, Apprends une autrefois à ne croire point ta folle tesle, & à te servir de tes jambes au besoin.
“Du Lièvre et de la Tortuë”