Le bien perdu faict à l’ingrat
Il n’est rien plus mal employé
Que de faire à l’ingrat du bien.
Quiconques l’aura essayé
Une aultre fois s’en garde bien.
Du Loup et de la Grue
Ung meschant Loup la Brebis devora,
Mais en mengeant il se trouva fasché :
Dans le gosier ung os luy demoura.
Lors ne cessa tant qu’il fust arraché.
Pour se guerir alla remede querre
Vers les oyseaulx et bestes de la terre ;
Guery ne l’on, disantz que son torment
Estoit loyer bien digne d’un gourmand.
Quiconques faict à aultruy quelque oultraige
Contre raison, justice et équité,
Il luy survient tousjours perte et dommaige :
Deceu se void qui faict iniquité.
A une Grue il feit grande promesse
De quelque don s’elle luy peult oster ;
Lors son long col dedans sa gueulle adresse,
Emporte l’os sans plus le tormenter,
Et, cela faict, demande son salaire.
Mais le faulx Loup, qui ne veult satisfaire,
Luy dict : « Va-t’en, et si me remercie,
Car, s’il m’eust pleu, je t’eusse osté la vie
Tandis qu’estoit ton long col estendu
En mon gosier. » Lors va dire la Grue :
« Le bien qu’on faict à l’ingrat est perdu,
Car pour bonté est maulvais-tié rendue. »
“Du Loup et de la Grue”
- Gilles Corrozet (1510 – 1568)