Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Épitaphe de Jean de La Fontaine
Jean s’en alla comme il était venu, (1)
Mangea le fonds avec le revenu, (2)
Tint les trésors chose peu nécessaire. (3)
Quant à son temps, bien le sut dispenser :
Deux parts en fit, dont il soulait (4) passer
L’une à dormir et l’autre à ne rien faire. (5)
1. La Servante justifiée vers 69.
2. En effet il abandonna ou vendit successivement sa maison et ses termes à sa femme, à son beau-frère, à ses amis, c’est-à-dire au plus bas prix possible.
3. On lit dans le texte donné par Chardon de la Rochette :
Mangea le fonds après le revenu. Tint le travail chose peu nécessaire.
Dans le recueil cité du P. Boubours, dans une édition des Contes, Amsterdam, 1696, et dans les Pièces de théâtre, 1702 :
Mangeant son fonds après le revenu, Croyant le bien chose peu nécessaire.
Dans le Recueil des plus belles épigrammes :
Mangea le fonds, mangea le revenu, Jugea trésors chose peu nécessaire.
4- Tome VI, p. 28o. — « Bien sut le dépenser », dans le Recueil des plus belles épigrammes.
5. Avait coutume : du latin solere.
- Œuvres de Jean de La Fontaine :Henri Régnier 1883.
Épitaphe d’un paresseux
Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de citer cette épitaphe, et de dire ce qu’il fallait penser de la « paresse » de la Fontaine.
Elle a été publiée, sous le titre que nous donnons, dans les Fables nouvelles de 1671, p. 99.
Chardon de la Rochette l’a fait précéder (1) de cette note autographe de Pellisson qu’il avait lue au bas de notre épître II, (ci-dessous, p. 107) : “Je ne fais pas difficulté d’ajouter à cette lettre, que M. de la Fontaine m’a envoyée, un tableau qu’il fit de la vie d’un de ses proches, au lieu d’épitaphe, le jour de sa mort L’épitaphe d’un grand parleur, ci-dessus.), et,une épigramme
de six vers, que j’ai trouvée assez belle, et parfaitement bien appliquée au sujet, qui convient à un paresseux. »
L’Épitaphe d’un paresseux a été bien souvent réimprimée à la suite des Contes et des Fables, et aussi dans le Recueil de vers choisis du P. Bouhours, p. 288 (2), dans les Œuvres posthumes, 1696, p. 276, dans le Recueil des plus belles épigrammes, 1698, tome I, p. 241, dans les Pièces de théâtre, 1702, dans les Œuvres diverses de 1729, tome I, p. 164, etc., etc.
Elle a été traduite en latin par le P. Sanadon.
Voyez l’Histoire de la Fontaine de Walckenaer, tome I, p. 54-55 ; l’édition des Œuvres diverses de Maucroix par Louis Paris, tome I, p.CXVII-CXVIII
(1). Dans l’Histoire de la Fontaine par Mathieu Marais, p. 24.
(2). Édition de 1693; elle n’est pas dans celle de 1701.
Épigramme de Linières
Je ne jugerai de ma vie
D’un homme avant qu’il soit éteint :
Pelisson est mort en impie,
Et La Fontaine comme un saint.
(François Payot de Linières,1626-1704))
Lettre à Monsieur de Maucroix, Chanoine de Reims
Tu te trompes assurément, mon cher ami, s’il est bien vrai, comme Monsieur de Soissons me l’a dit, que tu me croies plus malade d’esprit que de corps. Il me l’a dit pour tâcher de m’inspirer du courage, mais ce n’est pas de quoi je manque. Je t’assure que le meilleur de tes amis n’a plus à compter sur quinze jours de vie. Voilà deux mois que je ne sors point, si ce n’est pour aller un peu à l’Académie, afin que cela m’amuse. Hier, comme j’en revenais, il me prit au milieu de la rue du Chantre une si grande faiblesse que je crus véritablement mourir. O mon cher, mourir n’est rien; mais songes-tu que je vais comparaître devant Dieu? Tu sais comme j’ai vécu. Avant que tu reçoives ce billet, les portes de l’Éternité seront peut-être ouvertes pour moi.
Jean de La Fontaine.
Homélie de Fénelon. A la fin de sa vie, épuisé par la maladie, hanté par le péché – il ne se consacra plus qu’aux ouvrages pieux. Le 14 avril 1695 Jean de La Fontaine meurt chez Madame d’Hervard, rue Plâtrière à Paris, alors âgé de soixante-quatorze ans. Dans une homélie très émouvante, en latin, dite par l’ Abbé Fénelon, celui-ci rend un hommage très touchant à La Fontaine :
“La Fontaine n’est plus ! Il n’est plus! et avec lui ont disparu les jeux badins, les ris folâtres, les grâces naïves et les doctes Muses. Pleurez, vous tous qui avez reçu du ciel un cœur et un esprit capables de sentir tous les charmes d’une poésie élégante, naturelle et sans apprêt: il n’est plus cet homme à qui il a été donné de rendre la négligence même de l’art préférable à son poli le plus brillant!
… La Fontaine vit tout entier et vivra éternellement dans ses immortels écrits. Par l’ordre des temps, il appartient aux siècles modernes mais par son génie, il appartient à l’Antiquité, qu’il nous retrace dans tout ce qu’elle a d’excellent…” (Épitaphe de Jean de La Fontaine)
La Fontaine et la religion
Au père Poujet¹ , La Fontaine dit :” Je me suis mis, depuis quelque temps à lire le Nouveau Testament : je -vous assure, ajouta-t-il, que c’est un fort bon livre ; oui, par ma foi, c’est un bon livre. Mais il y a un article sur lequel je ne me suis pas rendu; c’est celui de l’éternité des peines : je ne comprends pas, dit-il, comment cette éternité peut s’accorder avec la bonté de Dieu.”
¹Amable Poujet, avait quitté les bancs, de Sorbonne, où il avait pris tous ses grades et le bonnet de docteur. Il entra depuis dans l’oratoire. Il composa le catéchisme de Montpellier, et mourut à Paris en 1723.