« Jean s’en alla comme il étoit venu,
» Mangeant son fonds avec son revenu. »
C’étoit mon bisaïeul de célèbre mémoire.
Son fils en fit de même ; aussi son petit-fils.
Jamais au monde ils n’ont acquis
Que de l’estime et de la gloire.
Mon bisaïeul étoit un fablier,
Disoit fort plaisamment une femme immortelle :
Cet arbre est mort, mais non pas tout entier ;
J’en suis un rejeton, une tige fidèle,
Et voici de mes fruits une fable nouvelle.
Avec bonté daignez la recevoir,
Dans mon malheur, c’est mon unique espoir.
Faute d’appui, languissant sur la terre,
Se desséchoit un jeune lierre.
Il aperçoit un chêne élancé vers les cieux.
Ce chêne répandoit une ombre bienfaisante ;
Quand les habitants de ces lieux
Éprouvoient du midi la chaleur dévorante,
Sous son feuillage spacieux,
Ils venaient rétablir leur force défaillante.
Cet arbre étoit sacré. Les bergers d’alentour
L’avoient déifié dans leur reconnoissance.
Qui fait les dieux ? C’est notre amour.
Vers le chêne aussitôt notre lierre s’avance ,
Guidé par son heureux destin.
Il embrasse le tronc de cet arbre divin ;
Il s’élève, il serpente autour de son écorce :
Le voilà ranimé, vigoureux , plein de force.
Je suis ce lierre abandonné ;
Vous, cet arbre divin qui fait mon espérance.
Je vous ai peint mon sort infortuné ;
Soyez l’appui de mon enfance.
“Le Chêne et le Lierre”
Mademoiselle de La Fontaine dut sa fortune à cette fable. Elle fut élevée dans un couvent près de Versailles, sous la protection de Mesdames de France, filles de Louis XV, et ces augustes princesses la marièrent ensuite avec M. le comte de Manon. Il naquit deux enfants de ce mariage. Toute cette famille vivoit heureuse, quand la révolution vint troubler son bonheur. Madame de Marson avoit continué d’habiter Versailles, où elle s’occupoit avec soin de l’éducation de son fils et de sa fille. Vers 1793, il lui fut adressé une lettre de l’étranger ; un parent émigré l’avoit écrite : cette lettre est surprise. Il étoit incontestable que madame de Marson étoit en correspondance avec ce parent proscrit. Mandée au comité révolutionnaire, elle y comparoît avec ses enfants. On prononce son arrestation. Sa perte sembloit dès-lors infaillible, lorsqu’un homme du peuple, appelé souvent chez elle, s’écria : Ô ciel ! ô ciel ! faire périr une petite-fille de La Fontaine, une dame qui élève si bien ses enfants ! Cette exclamation fit le plus grand effet sur l’auditoire et même sur le comité. Le président, se tournant vers le petit de Marson, lui dit : Que t’apprend ta mère? — A être bon, répondit-il. A ce mot touchant, la mère fut renvoyée et l’affaire assoupie. (V. Hist. de la Vie et des ouvrages de La Fontaine, par Walckenaer, première édition, page 34o.)
(Poésies diverses d’Antoine Rambouillet de la Sablière, et de François de Maucroix, et hommages poétiques a la Fontaine: avec les vies de la Sablière et de Maucroix, des notes et des éclaircissements… Chez A. Nepveu, Libraire, 1825.)