Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Commentaires sur la fable – Le Héron
Fable Le Héron : commentaires de MNS Guillon – 1803
- Le Héron.
(1) Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où,
Un Héron au long bec emmanché d’un long cou.
La Bruyère à dit: Tout l’esprit d’un auteur consiste à bien définir et à bien peindre. Cette maxime est le plus bel éloge des vers qu’on vient de lire. Cette multiplicité de monosyllabes amasses à dessein dans ces vers, les étend, les prolonge, et semble les élever à la hauteur du col de l’animal. Croirait-on que Voltaires blâmé ces vers ?
(2) Ma commère la Carpe y faisait mille tours Avec le Brochet son compère. Ainsi dans la fable du Renard et , de la Cigogne : Compère le Renard se mit un jour en frais, Et retint à dîner commère la Cigogne. Ces rapports des animaux entre eux, nous plaisent quoiqu’imaginaires. Par un secret retour sur nous-mêmes, qui se mêle à toutes nos affections, nous aimons à retrouver l’image de nos mœurs et de nos institutions.
(3) Tous approchaient, etc. Une onde transparente où rien ne saurait échapper aux regards du vorace animal, un beau jour où tout invite un gourmand ; sur les bords, les jeux des Poissons qui s’approchent tous sans défiance, et se livrent d’eux-mêmes à l’ennemi ; combien tontes ces circonstances animent le tableau ! combien elles y répandent de vie et de gaîté !
(4) Il vivait de régime. Tant de sobriété est si peu commune, qu’elle a besoin d’être expliquée. Aussi le poète nous donne-t-il son dédaigneux Héron pour un philosophe réglé dans ses repas, ou pour un convalescent au régime.
(5) Après quelques moments l’appétit vint : l’oiseau, etc. Quelle facilité dans la versification ! avec quelle souplesse il varie son rythme et sa cadencé! Il n’écrit point: il parle, il converse avec vous.
(6) Rapprochant du bord. Ce ne sont plus les poissons ; c’est le Héron qui s’approche à son tour, et pour voir… quelle espèce de proie ? non plus le brochet et la carpe, mais Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures. Admirez l’art, ou plutôt le génie des gradations. Sortaient du fend de ces demeures, n’est point indifférent : bêla commence à sentir la bourbe.
(7) Comme le Rat du bon Horace. Cette allusion est d’une justesse parfaire. On se rappelle aussitôt ces vers : Cupiens varia fastidia cœnâ Vincere tangentis malè singula dente superbo. (Liv. II. Sat. VI. vers 86.)
(8) Moi, des Tanches, dit-il ! moi Héron, etc. Ce moi répété est emphatique. Ainsi parierait un orgueilleux financier : ainsi parle la Junon de l’Enéide, Ast ego quœ Supertûm, etc. Jovisque et soror et conjux,
(9) La Tanche rebutée, il trouva du goujon. Non pas un mais du goujon. Il y a loin de ce mets à un plat de brochets ou de tanches ; mais ce n’est- point encore là le morceau par où il faudra finir ; et par où ? par un limaçon : c’est le dernier mot de la fable, comme la dernière découverte du Héron.
Analyses de Chamfort – 1796
V. 1. Un jour sur ses longs pieds…..
M. de Voltaire critique ces deux vers comme d’un style ignoble et bas. Il me semble qu’ils ne sont que familiers , qu’ils mettent la chose sous les yeux , et que ce mot long répété trois fois exprime merveilleusement la conformation extraordinaire du héron.
A l’occasion de ce mot l’oiseau, qui finit le vers 12 , et qui recommence une autre phrase, je ferai quelques remarques que j’ai omises jusqu’à présent sur la vérification de La Fontaine. Nul poète n’a autant varié la sienne par la césure et le repos de ses vers , par la manière dont il entremêle les grands et les petits , par celle dont il croise ses rimes. Rien ne contribue autant à sauver la poésie française de l’espèce de monotonie qu’on lui reproche. Le genre dans lequel La Fontaine a écrit, est celui qui se prêtait le plus à cette variété de mesure, de rimes et de vers; mais il faut convenir qu’il a été merveilleusement aidé par son génie , par la finesse de son goût, et par la délicatesse de son oreille.