B. Van Hollebeke
Fable: Le Lion et le Rat analysée par B. Van Hollebeke, 1855
X. — Le Lion et le Rat
Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d’un plus petit que soi 1.
De cette vérité deux fables feront foi ;
Tant la chose en preuves abonde 2.
Entre les pattes d’un lion
Un rat 3 sortit de terre assez à l’étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu’il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu’un aurait-il jamais cru
Qu’un lion d’un rat eût affaire ?
Cependant il avint 4 qu’au sortir des forêts,
Ce lion fut pris dans des rets 5,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni 6 que rage 7.
1 Dans Le Lion et le Moucheron le fabuliste menace la force des vengeances de la faiblesse. Ici, au contraire, il montre quels services la faiblesse peut rendre à la force, quand celle-ci a été généreuse envers elle. (Louandre.)
2 La fable ne prouve rien. L’exemple est un fait particulier, la moralité une maxime générale. L’exemple n’en est que l’indication et non la preuve. Le but est de rendre sensible à l’imagination ce qui est évident à la raison. (Marmontel.)
La Fontaine, avec sa naïveté habituelle, donne à la fable le pas sur la réalité; c’est elle qui est à ses yeux la démonstration du fait :
De cette vérité deux fables feront foi.
(Eug. Geruzez.)
3 Substituez avec Florian un écureuil au rat, et l’apologue deviendra un fait historique, dont tout Paris a été témoin en 1777. (Guillon.)
4 Avenir et advenir, (du latin advenire) ; arriver par hasard.
5 Rets, filet. (Du latin rete, retis.)
6 Remarquez l’emploi de ni dans une phrase toute positive. Avec un peu de réflexion, on comprend comment La Fontaine a été entraîné à en faire usage. Il y a une négation sous-entendue; c’est comme s’il disait : Patience et longueur de temps font plus que ne peut faire la force, ni la rage.
7 Cette seconde affabulation est un hors-d’œuvre. (Guillon.)
Cet apologue a deux affabulations très-différentes, l’une qui le précède, l’autre qui le suit. Il résulte de cette complication un effet d’autant plus désagréable que la dernière de ces moralités n’est qu’une observation commune et de peu d’importance, ajoutée à l’une des vérités les plus essentielles de la morale. (Nodier.)
Ce n’est point une affabulation, mais une simple réflexion qui doit suivre immédiatement les vers précédents, sans faire un alinéa, comme tous les éditeurs ont fait jusqu’ici.