Après cinq mois d’attente, une jeune Brebis
Eut un fils.
Vous jugez du plaisir qu’en eut d’abord la mère ;
Mais bientôt vinrent les soucis.
Le berger un matin s’en alla pour la traire.
La Brebis dit : Pourquoi m’enlevez-vous mon lait ?
Eh ! qui va nourrir Agnelet,
Si vous lui prenez son breuvage ?
Le pauvre enfant n’a pas têté,
— A Pan nous offrons du laitage,
Répartit le berger, et votre fils partage
Avec une divinité ;
N’êtes-vous pas contente ! Allons, donnez, la belle,
Sinon le loup vous gobera.
La bête en murmurant lui tendit sa mamelle.
Ceci fait, la Brebis, à quelque temps de là,
Ne songeant à rien, voit paraître
Un sacrificateur, armé d’un grand couteau,
Disant : Ma mie, à Pan, mon maître,
On destine ce bel Agneau.
Qu’il marche au temple. A ces paroles,
La Brebis s’épouvante et jette les hauts cris.
On trouva ses plaintes frivoles,
Et sans trop l’écouter, on égorgea son fils.
Tandis que dans un coin elle se désespère,
On fait bombance, on fait festin
Du nouveau-né. La pauvre mère
N’était pas encore à la fin.
Un jour que dans les champs la Brebis alla paître,
Elle vit venir en chantant
Une multitude champêtre
De pâtres, de bergers et de filles portant
Fleurs, bandelettes et guirlande
Qu’à son front l’on place à l’instant.
La Brebis s’étonne, et demande :
Pourquoi me parez-vous ainsi ?
M’allez-vous marier ? n’ayez pas ce souci,
Lui dit-on ; du dieu Pan c’est aujourd’hui la fête ;
Et pour être agréable aux yeux de l’immortel,
On vous a couronné la tête.
Maintenant nous allons vous conduire à l’autel ;
Le prêtre vous attend, de ses mains innocentes
Il vous fera l’honneur de plonger dans vos flancs
Le fer du sacrifice ; et, grâce à ces présents,
Nous aurons cette fois des moissons abondantes.
Quoi ! Le dieu Pan, dit-elle, aurait vos appétits ?
Ah ! Malheureuses que nous sommes !
A qui donc désormais nous plaindrons-nous des hommes,
Si les dieux mangent les Brebis ?
On vous en dit autant, monarques de la terre,
Vous qui des dieux tenez le rang.
Ayez pour vos sujets des entrailles de père,
Et ne versez jamais leur sang.
Ô pasteurs des humains, que vos agents sinistres
Épargnent le troupeau déjà trop malheureux !
Pauvres Brebis, à qui nous plaindre des ministres,
Si les rois nous mangent comme eux !
“La Brebis”