Vers la brune, un renard rencontre une brebis.
« Vous vous écartez trop, ma chère,
Du berger et des chiens. Écoutez mes avis :
Le loup vous guette ; il est dans la bruyère ;
Le voilà qui parait; retournez au logis ;
Fuyez, il vous atteint… Bon, la voilà sauvée. »
La pauvrette enfin arrivée.
Moutons de l’entourer, parlant tous à la fois :
« Où t’es-tu donc perdue? était-ce au fond des bois?
N’as-tu pas vu le loup? Il est bien laid, je gage.
Est-il gros? a-t-il l’air sauvage? »
Une course forcée, et surtout la frayeur.
D’un long saisissement avaient frappé la belle ;
Et reprenant ses sens et sa vigueur :
« Grâce au seigneur renard j’existe encor, dit-elle ;
Vous devez mes jours à son zèle. »
On bénit le renard ; il eut un grand renom
D’humanité chez le peuple mouton,
Et s’attira toute sa confiance.
Mais le loup le tança de la bonne façon :
« Ami, dit-il, en conscience.
Des troupeaux, des bergers, tous les deux ennemis.
Devais-tu me tromper quand tu m’avais promis
De m’aider de ta ruse, et de là le partage !
Je veux rompre avec toi, cœur double et sans courage.»
Et le renard : « Vraiment j’ai payé mon écot.
Tu ne me comprends pas, mon cher ; tu n’es qu’un sot.
Je sauve une brebis, et trente vont me suivre ;
Adroitement alors je te les livre.
Oh! nous serions moins fins, moins dangereux,
Si nous n’étions jamais ni bons ni généreux. »
Avis à la gent moutonnière :
On doit moins craindre un loup qu’un renard débonnaire.
“La Brebis sauvée”