A la fileuse , un jour , la brodeuse disait,
Avec ce ton moqueur que l’orgueil inspirait:
Quoi ! vous filez , chère compagne ,
Cet ouvrage est-il fait pour vous ?
Il ne convient qu’à la campagne ,
A la bergère au plus , et soit dit entre nous ,
Il est ignoble : une fileuse
Ne peut se comparer jamais à la brodeuse.
Broderie appartient à la condition.
A l’aiguille, au tambour , l’or et l’argent , tout brille ,
Et le crayon de votre main gentille ,
Tracerait sur un beau patron
Le plus joli dessein pour une collerette ;
Des falbalas , une manchette :
Voyez le travail que j’ai fait :
N’est-il pas vrai qu’il est parfait ,
Et que broder enfin , pour une demoiselle ,
Est tout ce qu’il convient ?
Oui, je vous crois , ma belle ,
Répondit la fileuse ; autrement j’aurais tort.
Votre discours frappe d’abord ;
Mais sans projet de contredire ,
Vous me permettrez de vous dire,
Que votre broderie , avec tout son brillant ,
Ne saurait, très-certainement,
Se comparer à l’ouvrage solide
Que je tourne avec mon fuseau.
Loin de nous ce luxe perfide !
Mon fil de lin n’est-il pas assez beau ?
Je le préfère à l’ouvrage futile ,
A tout le clinquant de votre or ;
Sachez que le plus grand trésor ,
Est le travail le plus utile.
“La Brodeuse et la Fileuse”