Une châte encor du bel âge,
Coquête de profession,
Pour vivre libre et sans soins de ménage
Mît ses enfans en pension.
L’un chez Ratapon, chat sauvage,
Et l’autre chez Mitis bourgeois du voisinage,
Remettant à leurs soins cette éducation.
Adieu, mes amis, mes compères ;
Et vous, adieu mes fils, soyez honnêtes gens ;
Regardez ces messieurs en pères ;
Et vous, traitez les en enfans.
Ils se quittent ; l’aîné suit le matou champêtre ;
En quelques mois il devient grand chasseur ;
Vit de lapins qu’il prend en traître ;
Se bat souvent, est toûjours l’agresseur ;
Prend enfin toute la noirceur
Et la cruauté de son maître.
Le cadet suit Mitis qui va le présenter
Du même pas à son hôtesse ;
La suppliant que de grâce elle laisse
Le petit chat sous ses toîts habiter :
Des yeux il semble lui promettre
Qu’on la servira bien et qu’on vivra de peu.
Qu’il reste, dit l’hôtesse ; il n’en faudra pas mettre,
Je pense, plus grand pôt au feu.
En moins de rien le petit chat imite
Les manières du grand, ses caresses, ses tours,
Et mieux encor s’en acquitte,
Saute, fait l’arlequin, fait patte de velours ;
Caprices que son âge assaisonne toûjours.
Il se rend si joli qu’on quitte
Le grand pour le petit ; c’est donc le chat gâté ;
Il est en pays de cocagne,
N’a que deux soins, paresse et volupté ;
Mange à table, couche à côté
De sa maîtresse en guise de compagne,
Et quand en vagabond, l’autre court la campagne,
Le cadet s’accoquine à son oisiveté.
La mère chate enfin lasse de ses tournées
Redemande ses fils et les reprend chez soi.
Ça, leur dit-elle, en mes vieilles années,
J’ai bien compté sur vous ; ayez grand soin de moi.
Soyez mon baton de vieillesse ;
La pauvre mère ! Elle avoit mal compté ;
L’un lui manque par sa paresse,
Et l’autre par sa dureté.
En vain elle se plaint, elle gronde, menace,
L’aîné la bat, cadet n’en travaille pas mieux.
Elle languit, succombe, et maudissant sa race,
De chagrin et de faim s’en va voir ses ayeux.
Voilà ce que je devois craindre,
Mes enfans, leur dit-elle, au moment du trépas,
Je vous ai négligé ; quand je vous trouve ingrats,
C’est de moi que je dois me plaindre.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, La Chate et ses Petits.