Antoine Alfred Désiré Carteret
« Miaou ! miaou ! » — « C’est la voix de Doucette, »
Dit un matou passant auprès d’une maison.
« Rien n’est ouvert, sans doute la pauvrette
« Dans le logis est en prison. »
Il lui cria : « Qu’as-tu donc, ma jolie ?
« Tu m’arraches le cœur ! C’est moi, c’est Gros-Minet. »
La chatte répondit : » Ma maîtresse m’oublie.
« Hélas ! mon malheur est complet :
« Voilà déjà trois jours que je souffre enfermée ;
« Plus rien dans mon écuelle et je suis affamée.
« — N’as-tu rien à boire non plus ?
« —Le seau n’est pas à sec. —C’est déjà quelque chose.
« Dans l’armoire au manger n’est-il point de rebuts ?
« — Ah ! j’ai tout visité, partout la porte est close.
« – Hé bien ! donc, mon enfant, fais la chasse aux souris.
« — De moi sans doute tu te ris.
« J’ai pour un mets pareil peu de goût, je t’assure :
« Ma bouche n’est plus faite à cette nourriture.
« —Pourtant manger souris est meilleur qu’avoir faim.
« — Oui, mais puisqu’il faut te le dire,
« J’ai voulu de la sorte alléger mon martyre;
« J’ai guetté, trotté, mais en vain.
« Je suis rouillée et ne sais plus m’y prendre.
« — Tant pis ; alors il faut, plutôt que de te rendre,
« Tenter un coup d’éclat. Voyons, faisons le saut ;
« Le toit de ce côté n’est vraiment pas trop haut.
« Tu tombes sur des choux : sol mou, grand avantage.
« Vite à la lucarne, et courage ! »
La chatte vint au bord du toit.
« Hop ! hop ! » dit Gros-Minet.—« Tu veux mon trépas, soit !
S’écria Doucette tremblante.
« … Eh bien, non ! j’ai trop peur, je me sens chancelante.
« Je vis dans la cuisine et ne sais plus sauter.
« — Idée ! entends-tu bien, pure idée ! Eh ! pauvrette,
« J’aurais pour te réconforter
« Un si beau reste d’omelette.
« Allons, du cœur ! — Impossible, et je crains
« Qu’en restant plus longtemps, malgré moi je ne glisse. »
Elle rentra. Le chat dit tout bas : « Je la plains;
« Pourquoi faut-il qu’ainsi ce tendre objet périsse ? »
Le drame eut toutefois un moins noir dénouement.
Après deux jours encor d’une atroce torture,
Une clef tout à coup tourna dans la serrure.
Doucette mangea. Quel moment !
Mais longtemps elle n’eut qu’une santé chétive :
La secousse avait été vive.
Par la prospérité qui se laisse amollir,
Au jour de l’infortune a le double à pâtir.
“La Chatte emprisonnée”