Guy le Ray
Poète et fabuliste contemporain – Édito – La fable, 5000 ans d’histoire
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La fable, 5000 ans d’histoire
Il suffit d’évoquer le nom de Jean de La Fontaine pour que surgissent dans toute leur splendeur ses fables, et son nom est tellement lié à celui de la fable qu’il désigne par lui-même le genre avec lequel il se confond. À tel point que d’aucuns pensent qu’il en est le créateur, qu’il fut le premier à écrire des fables… Il n’en est rien, la fable vient de la nuit des temps, de la mémoire enfouie des hommes.
Tout un chacun aime à raconter des histoires, à ses amis, dans le cercle familial ou professionnel. Ces histoires ou anecdotes, brèves en général, sont ensuite colportées par ceux-là même qui viennent de les entendre et elles se répandent ainsi, parfois enjolivées, parfois tronquées, parfois réinventées. Tout porte à croire qu’il en a été ainsi de la fable, moyen ludique pour transmettre des messages, des préceptes, des morales et ce dans des époques lointaines où la parole était le seul moyen de se faire entendre.
Trois mille ans avant notre ère, c’est en Chine qu’apparurent les premières fables, elles furent répandues par la tradition orale, puis écrites plus tard vers 700 à 500 ans avant notre ère. Malheureusement toute trace écrite est disparue. En effet le premier empereur chinois Qin Shi Huang, dans sa lutte contre les intellectuels traditionalistes ordonna la destruction de tous les écrits. Dès cette époque, ces fables mettaient en scène des animaux. Un millénaire plus tard, soit 2000 ans avant J.C., les premières fables écrites connues à ce jour ont été découvertes en Mésopotamie : elles furent gravées sur des tablettes d’argile en signes cunéiformes.
Selon le professeur F. Allègre dans un livre intitulé “ Ésope, choix de fables “, Classique Hachette 1909, le premier auteur ayant rédigé une fable mettant en scène des animaux est le Grec Hésiode (800 avant J.C.) son titre est “ L’épervier et le rossignol “. Le second est Stéchisore, il vivait en Sicile (640 à 550 avant J.C.) et le titre de sa fable est “ Le cheval qui veut se venger du cerf “
Dans la continuité des Grecs vint Ésope le Phrygien, considéré comme le père de la fable sans toutefois qu’historiquement il y ait des preuves formelles sur ce point. On rencontrera d’ailleurs un peu plus loin un autre auteur de fables originaire d’une toute autre région et présentant des interrogation identiques quant à sa vie et à son œuvre. Sans doute attribue-t-on à Ésope plus de fables qu’il n’en a créé ou mémorisé, mais indéniablement il est la référence dans laquelle ont puisé ses successeurs. Il a vécu 600 ans avant notre ère.
L’Orient a eu un apport très important dans la création et la diffusion de la fable. Deux auteurs ont marqué ce genre, Loqman Le Sage, d’origine éthiopienne et Bidpaï. Le premier aurait vécu dix siècles avant J.C., le second quatre siècles après J.C. Loqman est un auteur très intéressant par rapport aux origines de la fable, d’une part parce qu’il présente des similitudes avec Ésope : tous les deux ont été des esclaves à l’aspect physique ingrat, difforme ; de plus des incertitudes subsistent quant aux dates où ils ont vécu. Par ailleurs nombre de leurs fables ont des sujets communs. De ces points communs sont nés deux hypothèses, l’une soutenant qu’Ésope et Loqman sont une seule et même personne, l’autre que les fables de Loqman sont passées de l’Orient vers la Grèce où Ésope les popularisera. Nicolas Antoine Boulanger*, dans un livre sur Élie et Énoch, Ésope le fabuliste, soutient la première hypothèse dans le texte “ Dissertation sur les incertitudes qui concernent les premiers écrivains de l’Antiquité.”
J.J. Marcel** dans son livre sur les fables de Loqman soutient que ce sont les Orientaux qui ont inventé l’apologue; selon lui, Loqman est le créateur de la fable, Ésope n’ayant fait que les reprendre. Il faut souligner toutefois que ces deux auteurs sont d’accord sur le fait que la nature de la fable a un caractère typiquement oriental, par l’utilisation de l’allégorie, de la métaphore, de la parabole, par la façon de donner des leçons d’une manière voilée. Comment en effet faire passer de rudes vérités face aux redoutables despotes de l’époque, sinon d’une manière détournée.
En ce qui concerne Bidpaï, Louis-François Jauffret***, fabuliste du XIX° siècle, dans son livre “ Lettres sur les fabulistes anciens et Modernes “ cite William Jones qui affirme que Bidpaï est un personnage inventé et que ses fables ont en fait été écrites par un brahmane du nom de Vichnou-Sarma dans son livre “ “ Hitopade “ ce qui signifie Instruction Animale.
Les fables de Bidpaï sont passées de l’Inde à la Perse, puis à la Turquie, montrant ainsi la facilité avec laquelle se sont répandues les fables en Orient.
L’apport de l’Orient à la fable est incontestable, trancher sur le sens de la circulation des fables et sur les dates de leur création semble un labyrinthe que l’on peut emprunter mais dont on ne pourra sortir qu’accompagné de documents historiques irréfutables.
Il est intéressant, sur ce point de la circulation des fables, de citer un livre de “ Fables chinoises “ datant du III° au VIII° siècle de notre ère, fables traduites par Édouard Chavannes****, versifiées par Madame E. Chavannes. En fait ces fables ne sont pas chinoises, mais d’origine hindoue. Dans la préface de ce livre, rédigée par Jean Bédier, celui-ci précise qu’en 1910 Edouard chavannes publia un recueil de textes d’origine indienne et d’inspiration boudhique : cinq cent contes extraits du Tripitaka chinois. Malheureusement, à l’avènement de l’Islam, toute cette littérature fut détruite. Elle ne survécut que grâce à la traduction d’un certain nombre de ces ouvrages qui en avait été faite en Chine pendant la période du II° au IV° siècle de notre ère.
Dans le Ier siècle avant J.C., Phèdre écrivit les premières fables romaines. Grâce à son talent, elles prirent pour la première fois une forme poétique, Phèdre les écrivant en vers et leur donnant ainsi un aspect chantant, harmonieux, bien loin du laconisme des fables d’Ésope. Cette “ révolution littéraire “ accompagnera la fable tout au long des siècles suivants.
Au Moyen Âge, Marie de France, première poétesse française vivant en Angleterre, écrivit une centaine de fables et appela son recueil L’Ysopet, en hommage à Ésope dont elle s’inspira en partie.
Au XVII° siècle, l’apothéose de la fable se nomma Jean de La Fontaine. Il amena ce genre littéraire à un tel niveau de poésie, d’imagination, de style qu’il ne restait plus à ses successeurs qu’à essayer de se hisser à son niveau. Il les invita d’ailleurs à reprendre le flambeau.
Leur avait-il laissé quelque chose d’ailleurs, sinon une montagne à franchir ? Allaient-ils relever le défi ou se décourager devant la tâche à accomplir ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, le défi fut relevé, non pas par quelques prétentieux mais par une multitude de fabulistes. Au XVII° siècle, citons Furetière, Madame de Villedieu, Charles Perrault, Benserade dont la particularité fut de mettre en quatrains les fables d’Ésope.
Au XVIII° siècle, le siècle des Lumières, ce fut la folie des fables ! Pour s’en rendre compte, il suffit de consulter la liste des fabulistes figurant sur ce site. Plus de 200 fabulistes, sans aucun doute stimulés et non bridés comme on aurait pu le penser par le génie de La Fontaine, se lancèrent à l’assaut de la fable pour en décliner toutes les formes. Même si la source des fables continuera de provenir de l’Antiquité, des inspirations nouvelles apparaîtront à partir de fables étrangères, qu’elles soient allemandes, espagnoles, italiennes ou anglaises. Et puis, la nouveauté devint un dogme par le fabuliste Houdar de La Motte dont les fables sont essentiellement moralistes et ornées de prologues dans ce sens : la pédagogie d’abord, sans toutefois négliger la forme.
Le fabuliste qui marquera le plus ce siècle des Lumières est Florian. S’inspirant de sources étrangères nouvelles et créant lui-même une partie de ses fables, Florian est un conteur plaisant dont la notoriété accompagnera celle de La Fontaine, en particulier à l’école où ces fables seront apprises presque jusqu’à nos jours.
Il serait injuste de se cantonner à nommer deux auteurs car nombre d’entre eux eurent un grand talent, alors sans que ce choix ait une valeur de référence, citons l’abbé Aubert qu’encensa Voltaire, Pesselier, le Père Reyre, Vitallis, le Capitaine Jean-François Haumont, Boisard, Richer, Le Duc de Nivernais, Dorat.
Arriva le XIX° siècle et la folie des fables s’estompa peu à peu pour quasiment s’éteindre en même temps que le siècle. Était-ce dû à l’abondance des auteurs, à la mode qui changeait, aux goûts qui se renouvelaient ou au romantisme qui s’installait dans la littérature ? Sans doute la fable alliée à la poésie avaient fait leur temps, il fallait de nouveaux horizons. Il n’en reste pas moins que des talents s’exprimèrent au cours de ce siècle dont trois femmes Mme de Villedieu, Mme de la Férandière, Mme Joliveau. Parmi les hommes, citons Stassart, Jauffret, Guingené, Jussieu, Lachambeaudie.
Après cinquante siècles d’existence, la fable nous est parvenue sans doute fatiguée d’une si longue vie, fatiguée mais pas moribonde. Il se trouve toujours aujourd’hui des auteurs qui, à l’invite lointaine de Jean de La Fontaine, portent le flambeau sans se soucier des modes nouvelles qui passeront plus vite qu’elle.
Guy Le Ray
* Books.google.fr – Tome 5 – 1792
** Books.google.fr
*** Books.google.fr Pichon-Béchet 1827 – Tome 1
**** Éditions Bossard Paris 1927 – Tome 2