Une Grenouille désespérée de n’avoir plus de compagne, s’était assise sur le bord d’un fleuve, et promenait ses regards de tous côtés. Elle fut bientôt consolée de cette perte ; car elle aperçut dans l’eau un Poisson qui courait comme un torrent ; on croyait voir une lame d’argent qui coupait le satin des eaux. Il ressemblait à une pleine lune qui erre à droite et à gauche. La Grenouille en le voyant, forma le dessein de s’unir avec lui. Elle commença par raconter l’histoire de son veuvage ; et lui demanda permission de vivre dans sa société. Le Poisson lui répliqua : « Pour faire société, ne faut-il pas une certaine convenance ? Aucune société ne peut exister sans quelques rapports. Eh bien ! quel rapport se trouve-t-il entre vous et moi ? Mon habitation est au fond des eaux, et vous demeurez sur le rivage ; je suis silencieux, et votre langue est toujours en mouvement. Votre figure hideuse est un bouclier contre les malheurs ; il suffit de vous voir pour ne pas désirer de vous posséder. Ma beauté est pour moi une source éternelle de craintes et de dangers ; quiconque me voit, ne songe qu’à me prendre, l’oiseau plane dans l’air pour me contempler et m’enlever, les bêtes des déserts me désirent, les Chasseurs, tantôt semblables au filet, emploient cent yeux à ma recherche, tantôt le dos courbé comme le pouce d’un archer, ils s’occupent entièrement de ma perte. » En parlant ainsi, le Poisson regagna le fond des eaux, et laissa la Grenouille sur le bord.
Ne te lie pas avec un homme qui n’est pas de ton état ; l’égalité est le plus fort lien de l’amitié : rassembler sans discernement, différents états incompatibles, c’est comme si tu voulais mêler de l’huile avec de l’eau, ou du sucre avec du lait.
“La Grenouille et le Poisson”